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quelque temps vers l’école réaliste dont Courbet est le dieu et Manet le grand prêtre. Mais, si certains côtés de sa nature pouvaient être satisfaits par la représentation directe et non traditionnelle de la laideur ou tout au moins de la trivialité contemporaine, ses aspirations d’art, d’élégance, de luxe et de beauté l’entraînaient vers une sphère supérieure, et Delacroix avec sa passion fébrile, sa couleur orageuse, sa mélancolie poétique, sa palette de soleil couchant, et sa savante pratique d’artiste de la décadence fut et demeura son maître d’élection.

Nous voici arrivé à un ouvrage singulier de Baudelaire, moitié traduit, moitié original, intitulé les Paradis artificiels, opium et haschich, et sur lequel il convient de s’arrêter, car il n’a pas peu contribué, parmi le public, toujours heureux d’accepter comme vrais les bruits défavorables aux littérateurs, à répandre l’opinion que l’auteur des Fleurs du mal avait l’habitude de chercher l’inspiration dans les excitants. Sa mort, arrivée à la suite d’une paralysie qui le réduisait à l’impuissance de pouvoir communiquer la pensée toujours active et vivante au fond de son cerveau, ne fit que confirmer cette croyance. Cette paralysie, disait-on, venait sans doute des excès de haschich ou d’opium auquel le poëte s’était livré d’abord par singularité, ensuite par l’entraînement fatal qu’exercent les drogues funestes. Sa maladie n’eut d’autre cause que les fatigues, les ennuis, les chagrins et les embarras de toute sorte, inhérents à la vie littéraire pour tous ceux dont le talent ne se prête pas à un travail régulier et de facile débit, comme celui du journal, par exemple, et dont les œuvres épouvantent par leur originalité les timides directeurs de revues. Baudelaire était sobre comme tous les travailleurs, et, tout en admettant que le goût de se créer un paradis artificiel au moyen d’un