Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/74

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idée politique, mais le désir d’une vie plus tranquille et d’un repos pacifiant, loin des excitations de l’existence parisienne. Ce séjour ne paraît pas lui avoir profité. Il travailla peu à Bruxelles et ses papiers ne contiennent que des notes rapides, sommaires, presque hiéroglyphiques, dont lui seul aurait pu tirer parti. Sa santé, au lieu de se rétablir, s’altéra, soit qu’elle fût plus profondément atteinte qu’il ne le pensait lui-même, soit que le climat ne lui fût pas favorable. Les premiers symptômes du mal se manifestèrent par une certaine lenteur de parole et une hésitation de plus en plus marquée dans le choix des mots ; mais, comme Baudelaire s’exprimait souvent d’une façon solennelle et sentencieuse, appuyant sur chaque terme pour lui donner plus d’importance, on ne prit pas garde à cet embarras de langage, prodrome de la terrible maladie qui devait l’emporter et qui se manifesta bientôt par une brusque attaque. Le bruit de la mort de Baudelaire se répandit dans Paris avec cette rapidité ailée des mauvaises nouvelles qui semblent courir plus vite que le fluide électrique le long de son fil. Baudelaire était vivant encore, mais la nouvelle, quoique fausse, n’était que prématurément vraie ; il ne devait pas se relever du coup qui l’avait frappé. Ramené de Bruxelles par sa famille et ses amis, il vécut encore quelques mois, ne pouvant parler, ne pouvant écrire, puisque la paralysie avait rompu la chaîne qui rattache la pensée à la parole. L’idée vivait toujours en lui, on s’en apercevait bien à l’expression des yeux ; mais elle était prisonnière et muette, sans aucun moyen de communication avec l’extérieur, dans ce cachot d’argile qui devait ne s’ouvrir que sur la tombe. — À quoi bon insister sur les détails de cette triste fin ? Il n’est pas de bonne manière de mourir, mais il est douloureux, pour les survivants, de voir s’en aller si tôt une intelligence remarquable qui pouvait longtemps encore porter des fruits,