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XIX

la mort d’un chat

Ninette s’affairait, se pressait, jetait sur la pendule des regards inquiets, cherchait à faire plus vite encore et ne réussissait que très mal. Pour faire décrire, au bâton de rouge, la courbe parfaite du dessin de ses lèvres, il eut fallu que sa main ne tremblât pas. Mais allez donc vous maquiller avec calme, lorsque vous vous êtes levée à dix heures et demie et qu’il vous faut commencer à travailler à onze heures ! Trois fois déjà, elle avait effacé, repris, essuyé et recommencé cette simple opération ; trois fois elle avait jugé le résultat indigne de son effort. Elle renonça à une quatrième tentative et se précipita dans la cuisine. Certes, il ne fallait pas songer à prendre le temps de manger. Un verre de lait, en vitesse, voilà quel serait, ce matin-là, son petit déjeuner.

Elle ouvrit le réfrigérateur, y prit une bouteille de lait pleine et s’en versa un grand verre. Dehors, un miaulement plaintif se fit entendre. Ninette hésita. Ouvrir la porte au chat des voisins et lui faire l’aumône d’une soucoupée de lait, c’était perdre de bien précieuses secondes. Mais laisser la bête, la gentille petite bête, habituée à ce petit festin quotidien, miauler en pure perte, c’était manquer à un petit devoir d’amitié. Ninette tira le verrou, ouvrit la porte ; le félin, tout noir, tout menu et si maigre, se faufila, le dos rond, la queue en bataille.

— Je suis bien pressée, mon pauvre Minou, il va falloir boire vite !