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II

monsieur bernard, les souliers de jean et les soucis de ninette

Dans une ville de vingt-deux mille habitants il y a naturellement un grand magasin qui se flatte de vendre de tout et s’affuble avec barbarie de l’adjectif départemental. Celui de Saint-Albert occupe, rue Principale, un immeuble d’une centaine de pieds de façade sur laquelle flamboient, en lettres d’or, les mots Galeries Crèvecœur. Une douzaine de vendeuses, presque toutes anémiées par des heures de travail trop longues et des salaires trop minces, y attendent la clientèle avec un minimum d’enthousiasme commercial.

Ce matin là, un peu avant dix heures, deux personnages assez mal assortis firent chez Crèvecœur une entrée fort remarquée. Le premier, d’un âge plutôt difficile à définir, tant il y avait de contraste entre la blancheur des cheveux et la jeunesse de la démarche, entre les rides du visage et la vivacité du regard, était habillé avec une recherche et une correction qui dénotaient l’aisance. Le second, un petit bonhomme haut comme trois pommes, sale comme un ramoneur, ébouriffé comme un hérisson, marchait pieds nus et montrait un visage où un mélange de larmes et de poussière avait laissé de bien curieux tatouages.

Lorsqu’ils eurent franchi le seuil du magasin et que, surmontés de sourcils en accents circonflexes, les yeux de Mlle Léontine, la première vendeuse, se furent posés sur eux, le monsieur bien mis chercha