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LES LORTIE

c’était les seules qu’il possédait. N’est-ce pas, Jean ?

— Ben oui, m’sieur. J’en avais pas d’autres.

— Et je ne pense pas, dit la vendeuse, que sa maman aurait pu lui en acheter.

Et comme le monsieur âgé regardait l’enfant avec pitié, elle se lança dans un long récit d’où il ressortait qu’elle connaissait le bambin, sa mère et sa nombreuse famille depuis toujours : que Jean s’appelait Messier, qu’il était le neuvième d’une imposante collection de quatorze enfants dont un seul travaillait pour le moment, que le père avait été tué l’année précédente dans un accident et que la mère, courageuse au possible, gagnait péniblement la pitance de tant de rejetons en s’usant les reins, les mains et le courage à lessiver le linge des autres.

Le monsieur l’écouta sans l’interrompre et, lorsqu’il fut évident qu’elle avait dit tout ce qu’elle savait, il reprit la main du petit Jean, sourit à la vendeuse, toussota une petite fois et dit :

— Eh bien ! mademoiselle, il s’agit de trouver des bas d’abord, des chaussures ensuite et, pendant qu’on y est, je crois bien qu’une bonne paire de culottes ne serait pas de trop !

En suivant son nouvel ami dans le labyrinthe de comptoirs, Jean se mit à rire sans bruit. Il songeait à la joie étonnée de sa mère, quand elle le verrait arriver, fier comme le tambour-major de la garde paroissiale, chaussé et culotté de neuf.

***

Il y a, à Saint-Albert, un parc municipal dont on a très vite fait le tour, mais qui ne manque pas de charme. Les pelouses y sont bien entretenues, les arbres y sont beaux et les bancs assez nombreux, surtout autour de l’étang où s’ébattent, fort à l’étroit, trois douzaines de canards.