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LES LORTIE

durs de leur jeunesse, Girard avait toujours fait largement sa part et il y avait, de par la ville, plus d’un individu qui aurait pu dire que les poings de Girard, si petits qu’ils fussent, étaient loin d’être tendres. Mais là ne s’arrêtait point la différence. Mathieu avait une voix de basse, Girard une voix de ténor ; Mathieu avait une chevelure noire, abondante et crépue, Girard avait été blond mais n’était plus que chauve. Dernier détail : dans toutes les discussions, c’était Mathieu qui criait le plus fort, mais c’était toujours Girard qui avait le dernier mot.

— Gaston, dit Mathieu une fois les politesses faites, je crois que je t’apporte des nouvelles toutes fraîches qui vont te faire écartiller les yeux pas pour rire.

— C’est ben sérieux, renchérit Girard, mais moi, je peux pas encore le croire.

— Hé ! Bagasse ! s’écria Gaston, qu’attendez-vous pour me le dire, si c’est à ce point extraordinaire ?

Mathieu, pour mieux ménager son effet, prit une chaise sans se presser, y déposa ses deux cents livres, leva le bras et dit :

— J’arrive de l’hôtel de ville ; le maire Lefrançois vient de démissionner, et le conseil a fixé les élections au deuxième lundi de novembre.

On aurait annoncé à Gaston qu’il avait gagné le gros lot à la loterie, qu’il n’aurait pas manifesté plus de satisfaction. Il y avait si longtemps qu’il prédisait, avec accompagnement de grands coups de poing sur la table, la chute du gouvernement municipal.

Ça alors, dit-il, ça alors, ça me fait plaisir, peuchère !