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ANDROMAQUE.

(A) Hector lui gardait exactement la foi conjugale. ] Il y a des vers d’Euripide où Andromaque déclare qu’elle avait aimé jusqu’aux maîtresses de son mari, afin de lui faire plaisir, et qu’elle avait allaité les bâtards qu’il avait eus d’elles [1]. Le scoliaste convient là-dessus qu’Anaxicrates avait débité qu’Hector laissa deux fils légitimes [2], qui échappèrent des mains des Grecs, et un bâtard [3], qui fut pris dans Troie [4] ; mais il accuse et son Euripide, et Anaxicrates d’avoir falsifié l’histoire, et il leur soutient qu’Hector n’eut jamais aucun bâtard, et qu’il faut être bien inconsidéré pour avancer le contraire. Ovide regardait Hector comme l’exemple d’un bon mari, qui ne prenait point le change, et qui se cachait à soi-même les mauvais endroits de son épouse :

Felix Andromache, certo benè nupta marito !
Uxor ad exemplum fratris habenda fui [5].


C’est ainsi qu’il fait parler Œnone, la femme de Pâris ; ailleurs, il dit qu’au sentiment de tout le monde Andromaque était plus grande qu’il ne fallait ; mais qu’aux yeux de son mari elle était d’une taille médiocre :

Omnibus Andromache visa est spatiosior æquo :
Unus, qui modicam diceret, Hector erat [6].


Au reste, M. Colomiés a eu raison de remarquer [7] que Mercerus, dans ses Notes sur le IVe. livre de Dictys de Crète, ne devait pas dire que l’antiquité ne connaît point d’autres amours d’Hector que pour Andromaque, sa femme ; ni d’autres enfans que ceux qu’il eut d’elle ; car il donne lieu de juger qu’il ne se souvenait pas de l’historien Anaxicrates, ni du poëte Euripide. Mais M. Colomiés, qui remarque, outre cela, que Vossius n’a point connu cet historien, eût bien fait de dire qu’il tenait de Méziriac les passages qu’il allègue ; et que Mallincrot [8] a parlé d’Anaxicrates, sans faire mention de l’ouvrage que le scoliaste d’Euripide en a cité : il dit seulement que Strabon se sert de l’autorité d’Anaxicrates en parlant de l’Arabie au livre XVI.

(B) Touchant les galanteries de son mari, son humeur était tout-à-fait commode. ] Voyez la remarque précédente : on n’y trouve pas qu’Andromaque ait poussé la chose au point où Livie et la femme de Cromwel l’ont portée. Celle-ci, par ambition, favorisait les amourettes de son mari [9]. Livie faisait l’office de maquerelle pour Auguste, dans l’occasion, afin de maintenir son crédit : Circa libidines hæsit (Augustus) posteà quoque, ut ferunt, ad vitiandas virgines promptior, quæ sibi undiquè etiam ab uxore conquirerentur [10]. Andromaque ne se proposait que d’avoir la paix dans son domestique, en ne chagrinant point Hector.

(C) Pyrrhus partagea son lit avec elle. ] Virgile, pour garder le decorum, a introduit Andromaque, qui fait consister en cela son plus grand chagrin ; car, dès qu’Énée lui eut demandé si la veuve d’Hector était mariée à Pyrrhus, elle baissa les yeux, et dit avec honte que ç’avait été à son corps défendant, et qu’elle enviait la destinée de Polyxène, que la mort avait exemptée d’une semblable nécessité. Rien n’oblige à prendre au pied de la lettre tous ces discours : il en faut rabattre beaucoup pour la bienséance d’une honnête politique :

Hectoris, Andromache, Pyrrhin’ connubia servas ?
Dejecit vultum, et demissâ voce locuta est :
O felix una ante alias Priameia virgo,
Hostilem ad tumulum Trojæ sub mœnibus altis
Jussa mori : quæ sortitus non pertulit ullos,
Nec victoris heri tetigit captiva cubile !
Nos, patriâ incensâ, diversa per æquora vectæ,
Stirpis Achilleæ fastus, juvenemque superbum
Servitio enixæ tulimus : qui deindè secutus
Ledæam Hermionem, Lacedæmoniosque hymenæos,
Me famulam famuloque Heleno transmisit habendam [11].


Mais il faut lui rendre justice ; on ne l’a point représentée de complexion amoureuse. Ovide ne croyait qu’à

  1. Eurip., in Andromach., vs. 221 et seq.
  2. Nommés Amphineüs, et Scamandrius.
  3. Nommé Palæterus.
  4. Anaxic. Argolicor., lib. II.
  5. Ovidius, in Epist. Œnon. ad Paridem, vs. 107.
  6. Idem, lib. II de Arte amandi, vs. 645.
  7. Bibliot. chois., pag. 169.
  8. Dans ses Paralipom. de Historicis græcis, pag. 5.
  9. Leti, Vie de Cromwel dans le Journal de M. de Beauval, en 1692, pag. 499.
  10. Sueton., in Aug., cap. LXXI.
  11. Virgil., Æneïd., lib. III, vs. 319.