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ANDRONICUS.

aima mieux lui conseiller, ou d’étudier lui-même ce livre, ou de se le faire expliquer par un habile rhétoricien. Trébatius essaya l’une et l’autre de ces deux choses sans nul succès : l’obscurité du livre le rebuta. Le rhétoricien lui dit qu’il ne connaissait point Aristote. Cicéron n’en fut pas étonné, encore que cette ignorance ne lui parût pas digne d’excuse. Il fallut donc qu’à la prière de Trébatius, qui était un docte jurisconsulte, il écrivit sur les Topiques d’Aristote [1] : Utrumque, ut a te audiebam, es expertus. Sed à libris te obscuritas rejecit. Rhetor autem ille, magnus ut opinor, Aristotelica se ignorare respondit. Quod quidem minimè sum admiratus, eum philosophum rhetori non esse cognitum, qui ab ipsis philosophis præter admodùm paucos ignoretur. Quibus eò minùs ignoscendum est, quod non modò rebus iis quæ ab illo dictæ et inventæ sunt allici debuerunt : sed dicendi quoque incredibili quâdam cum copiâ, tum etiam suavitate [2]. Pour ne rien céler aux lecteurs, je dois dire ici que Strabon donne à entendre que le bibliothécaire de Sylla permit aux libraires de faire des copies des ouvrages d’Aristote ; mais qu’ils se servirent de copistes ignorans, et qu’ils ne collationnèrent point  : cela fit que ces ouvrages furent publiés avec mille fautes. On ne pourrait point réfuter par-là ce que j’ai dit : je puis répondre que l’édition d’Andronicus étant plus correcte excita la curiosité des savans, qui était demeurée assoupie pour des éditions pleines de désordre. Voyez la note [3].

(C) Il donna un ordre plus méthodique aux ouvrages d’Aristote. ] Plutarque assure qu’Andronicus, ayant eu de Tyrannion les ouvrages d’Aristote et ceux de Théophraste, les publia, et y joignit des indices : Παρ᾽ αὐτοῦ τὸν Ῥόδιον Ἀνδρόνικον εὐπορήσαντα τῶν ἀντιγράϕων εἰς μέσον θεῖναι, καὶ ἀναγράψαι τοὺς νῦν ϕερομένους πίνακας [4]. Amyot a rendu ainsi ce grec : Andronicus le Rhodien ayant, par les mains de Tyrannion, recouvré les originaux, les mit en lumière, et écrivit les sommaires que nous avons maintenant. Il est bon de joindre à cela ce passage de Porphyre : Μιμησάμενος δ᾽ Ἀπολλόδωρον τὸν Ἀθηνᾶιον, καὶ Ἀνδρόνικον τὸν Περιπατετικὸν, ὧν ὁ μὲν Ἐπίχαρμον τὸν κωμοδόγραϕον εἰς δέκα τόμους ϕέρων συνήγαγε, ὁ δ᾽ Ἀριςοτέλους καὶ Θεοϕράςου βιϐλία εἰς πραγματείας διεῖλε, τὰς οἰκείας ὑποθέσεις εἰς ταυτὸ συναγάγων, οὕτω δὲ καὶ ἔγω [5]. Imitatus Apollodorum Atheniensem et Andronicum peripateticum, quorum ille Epicharmum comicum in decem collegit tomos, iste verò Aristotelis et Theophrasti libros in tractatus distribuit, proprias suppositiones in idem conducens ; sic et ego. J’avoue que je n’entends pas trop bien la force de ces mots grecs : τάς οἰκείας ὑποθέσεις εἰς ταυτὸ συναγάγων. J’entends beaucoup moins cette version : proprias suppositiones in idem conducens ; mais il me semble que l’un ou l’autre de ces deux sens peut passer. Porphyre veut nous apprendre ou qu’Andronicus rassembla en un même corps tous les traités qui appartenaient à une même matière, ou qu’il joignit à chaque traité un sommaire convenable. Le premier sens me paraît meilleur, et s’accorde mieux avec Plutarque, et avec la comparaison que Porphyre fait entre Andronicus et lui ; car Porphyre n’a fait autre chose que mettre des titres aux écrits de son maître Plotin, et que les ranger sous certaines classes. Je n’ai point trouvé d’auteur qui dise tout ce que j’ai lu dans le père Rapin ; et comme il ne cite que Plotin, je ne sais s’il parle après quelque livre que je n’ai pas consulté, ou s’il paraphrase Plotin et Plutarque. Quoi qu’il en soit, voici ce qu’il dit ; Moréri n’a fait que le copier : Après la mort de Tyrannion, Andronicus le Rhodien étant venu à Rome, et connaissant fort bien le mérite d’Aristote, parce qu’il avait été nourri dans le Lycée, il traita avec les héritiers de Tyrannion de ces écrits, et, les ayant en son pouvoir, il s’attacha avec tant d’ardeur à les examiner et à les reconnaître, qu’il en fut en quelque façon le premier restaurateur, com-

  1. Il le composa après la mort de César ; d’où l’on peut conclure que l’édition même d’Andronicus ne rendit pas d’abord bien communs dans Rome les livres d’Aristote.
  2. Cicero, init. Topicor.
  3. Strabo, lib. XIII, pag. 419.
  4. Plutarch., in Syllâ, pag. 468.
  5. Porph., in Vitâ Plotini.