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ANTINOUS.

de dire que, selon la relation d’Hadrien, ce malheureux était tombé dans le Nil : puis donc qu’Hadrien voulait que le monde crût qu’Antinoüs s’était noyé dans cette rivière, il faut que la ville qu’il consacra à ce favori ait été sur le bord du Nil, et proche du lieu où il disait que ce jeune homme avait péri. Pausanias marque expressément que cette ville était sur le Nil : Ἐπὶ τῷ Νείλῳ Αἰγυπτίων ἐςὶν ἐπώνυμος Ἀντινόου [1]. In Ægypto apud Nilum urbs de Antinoi nomine est appellata. Concluez de là que les ruines qui se voient à dix lieues du Nil, selon Moréri, ne sont point celles d’Antinopolis. Concluez la même chose encore plus hardiment contre ces ruines de ville que M. Baudrand a placées à quarante-neuf lieues du Nil.

(C) Léon d’Afrique n’a point dit qu’elle s’appelle Anthios. ] C’est encore une méprise de M. Baudrand. Je ne crois pas me tromper, si j’en attribue la cause à la liberté qu’on se donne de paraphraser les auteurs dont on se sert. Considérez bien ces paroles d’Ortelius, Anthios hodiè dici ex Joannis Leonis Africæ Descriptione deprehenditur : comparez-les avec celles-ci de M. Baudrand : Nunc in ruinis jacet Anthios dicta, teste Leone Africano ; vous verrez que si ce dernier écrivain s’était scrupuleusement renfermé dans les bornes du précédent, il aurait donné beaucoup moins de prise. Ortelius pourrait chicaner le terrain, en appliquant le mieux qu’il pourrait ce qu’a dit Léon d’Afrique ; mais M. Baudrand ne peut pas recourir aux applications, ni aux conjectures : il faut qu’il montre que ce Léon a dit positivement, que l’ancienne ville Antinoé se nomme aujourd’hui Anthios. Or c’est ce qu’on ne montrera jamais ; car Léon d’Afrique ne dit autre chose, sinon qu’Anthius a été bâtie par les Romains, sur le Nil, du côté d’Asie, et qu’on y voit encore plusieurs inscriptions latines sur des marbres [2]. Il en parle comme d’une très-belle ville, que l’industrie et la bonne humeur des habitans rendent très-considérable ; tant s’en faut qu’on puisse le citer comme un témoin qui dépose qu’elle est tout-à-fait ruinée. M. Baudrand ajoute qu’elle est à quarante-neuf lieues du Nil, vers l’orient. Elle n’est donc point l’Anthios de Léon d’Afrique. M. Moréri ôte trente-neuf lieues à cette distance : On voit ses ruines, dit-il, à dix lieues du Nil. Nous avons prouvé dans la remarque précédente, qu’Antinopolis était sur ce fleuve.

  1. Pausan., lib. VIII, pag. 244.
  2. Leon. African. Descript. Africæ, lib. VIII, folio. 360.

ANTINOUS, mignon de l’empereur Hadrien, était natif de Bithyne [a], dans la Bithynie. On ne trouve rien touchant sa famille. Sa beauté embrasa de telle sorte le cœur d’Hadrien, qu’on n’a jamais vu de passion plus effrénée, ni plus extravagante, que celle de cet empereur pour ce jeune homme. Cette passion ne se montra jamais plus furieuse qu’après la mort d’Antinoüs, car il n’y eut point d’honneurs divins (A) qu’Hadrien trouvât trop sublimes pour cet objet de son amour. Quelques-uns disent qu’Antinoüs lui avait donné la plus grande marque d’affection qu’on puisse donner ; c’est-à-dire, qu’il était mort pour lui (B). D’autres assurent qu’il se noya dans le Nil, pendant le séjour qu’Hadrien fit en Égypte ; environ l’an 132 de l’ère chrétienne. Quoi qu’il en soit, cet empereur le pleura à chaudes larmes [b], et voulut qu’on lui bâtît des temples et des autels ; ce qui fut exécuté avec tout l’empressement qu’on pouvait attendre d’une nation accoutumée depuis long-temps aux plus honteuses flatteries (C). Il voulut même que l’on fût persuadé qu’Antinoüs rendait des oracles. Il en courut quelques-uns sur

  1. On nommait aussi cette ville Claudiopolis. Xiphilin., in Adriano.
  2. Muliebriter flevit. Spartian., pag. 135.