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ARAGON.

de la gloire et du mérite des femmes, lorsqu’elles vivent dans le grand monde ! Elles sont exposées à échouer là tôt ou tard. Seriùs ociùs sors exitura.

Notre Isabelle mourut le 11 de février 1524, comme on l’a marqué dans son épitaphe, rapportée par M. Misson, au IIe. tome [a] de son Voyage d’Italie.

  1. Page 41 de la troisième édition.

(A) Elle fut mariée à Jean Galeas Sforce, duc de Milan,.... avec beaucoup de magnificence. ] Lisez Tristan Calchus, auteur de ce temps-là [1], in Nuptiarum Mediolanensium descriptione. Le père Ménétrier en cite un fort long passage, qui contient la description du magnifique souper que Bergonce Botta, gentilhomme de Lombardie, donna au duc Galeas et à sa nouvelle épouse, lorsqu’il les reçut à Tortone, dans sa maison. Chaque service fut accompagné d’une espèce d’opéra, que le rétablissement de ces actions en musique commençait à rendre agréables par la grâce de la nouveauté, plutôt que par les autres beautés qu’on leur a données depuis [2].

(B) Son mari ne consomma point le mariage, et l’on dit qu’on se servit pour cela d’une ligature magique. ] Guicciardin assure que le bruit en courut, et que toute l’Italie en demeura persuadée. È manifesto, dit-il [3], che quando Isabella figliuola d’Alfonso andò a congiugnersi col marito, Lodovico come la vidde, innamorato di lei, desiderò ottenerla per moglie dal padre : e a questo effetto operò (così fu allora creduto per tutta Italia) con incantamenti e con malie che Giovan Galeazzo fu per molti mesi impotente alla consumazione del matrimonio : alla qual cosa Ferdinando harebbe acconsentito, ma Alfonso repugnò, onde Lodovico escluso di questa speranza, presa altra moglie ed avutone figliuoli, voltò tulli i pensieri a trasferire in quegli il ducato di Milano. M. Varillas, autant que je l’ai pu remarquer, ne touche point cette particularité : il se contente de dire que Louis Sforce empêcha durant plus de trois mois la consommation du mariage [4]. Il fait assez entendre que l’empêchement ne venait que de ce que l’on ne souffrait pas que les deux parties s’approchassent ; car il dit que le père de la mariée mit son point d’honneur... à ne pas souffrir que Louis Sforce séparât plus long-temps les deux jeunes époux l’un de l’autre ; qu’il menaça de s’en plaindre à toute l’Europe, et de l’armer pour venger sa querelle [5]. C’était une grande malice, et une violence bien insupportable, que celle de ce tuteur.

(C) L’espèce de faction qu’elle eut à soutenir vaut bien la peine d’être décrite. ] Comme il me semble que M. Varillas a bien réussi dans ce portrait, j’ai cru que je donnerais un fragment curieux, si je rapportais ici ses propres paroles. C’est une pièce d’autant plus nécessaire à cet article, qu’elle sert à faire connaître l’humeur, l’esprit, et les qualités intérieures d’Isabelle d’Aragon. « Louis Sforce abandonna Isabelle à son neveu. et pour lui donner une rivale qui la contrôlât en toutes occasions, il rechercha la princesse Alphonsine, fille d’Hercule d’Est duc de Ferrare. Alphonsine ressemblait à Isabelle en toutes choses, excepté qu’elle n’était pas si belle. Elles étaient toutes deux entêtées mal à propos de leur naissance, puisqu’elles n’avaient rien à se reprocher en ce point, et qu’il y avait de la bâtardise dans la généalogie de l’une et de l’autre [* 1]. Elles étaient fières jusqu’à l’excès, et leur fierté tenait de la plus fine ambition. Elles étaient plus chastes par gloire que par tempérament. Isabelle s’était résolue au mariage, et Alphonsine y aspirait, plutôt pour partager le pouvoir de leurs époux que leurs lits. Elles aimaient toutes deux le

  1. (*) Borso d’Este, trisaïeul paternel d’Alphonsine, et Ferdinand, aïeul paternel d’Isabelle, étaient bâtards.
  1. Konig se trompe lourdement, de le faire vivre en 1672.
  2. Ménétrier, des Représentations en musique, pag. 157.
  3. Guicciardini, lib. I, pag. 15.
  4. Varillas, Histoire de Louis XII, liv. I, pag. 47.
  5. Varillas, Histoire de Charles VIII, liv. III, pag. 211.