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ARCHILOCHUS.

obsideret, ubi Sophoclis tragici inhumatum corpus jacebat ; identidem Liber Pater ducem monuit per quietem sepeliri delicias suas sineret, nec prius destitit, etc. M. de Saumaise remarque que l’un de ces Curions a vécu du temps de Jules César, qu’Archilochus a vécu du temps de Tarquin-le-Superbe, et que Sophocle n’est venu que plus de deux siècles après Archilochus [1]. Il a donc raison de se moquer de Solin ; mais il a tort de placer Archilochus au temps de Tarquin-le-Superbe, qui a régné depuis l’an 3 de la 61e. olympiade, jusqu’à la dernière année de la 67e. : il a, dis-je, tort de le mettre là, puisqu’ailleurs il l’établit sous la 29e. olympiade : Circiter vigesimam nonam olympiadem inclaruit Archilochus [2]. Ayant fait la faute de rendre contemporains Archilochus et le dernier roi de Rome, il ne devait pas trouver deux cents ans entre Archilochus et Sophocle ; car la mort de celui-ci arriva dans la 92e. olympiade, plus ou moins. Un autre grand homme [3] s’est trop laissé emporter à l’envie de reprendre, lorsqu’il a imputé à Hérodote de s’être servi d’un pitoyable raisonnement pour prouver qu’Archilochus a vécu sous Gygès, c’est de dire qu’Archilochus a fait mention de ce roi. J’avoue que ce raisonnement serait absurde ; mais il n’est pas vrai qu’Hérodote s’en soit servi : il n’a fait que supposer, il n’a tiré nulle conséquence : Τοῦ καὶ Ἀρχίλοχος ὁ Πάριος κατὰ τὸν αὐτὸν χρόνον γενόμενος, ἐν ἰάμϐῳ τριμέτρῳ ἐπεμνήσθη [4]. Cujus rex meminit et Archilochus Parius qui per idem tempus fuit in iambo trimetro.

(C) Le caractère de ses poésies a été un débordement de médisances tout-à-fait extraordinaire. ] De là vient qu’Horace a considéré Archilochus comme un homme atteint de la malerage, Archilochum proprio rabies armavit iumbo [5] ;
et que, quand on voulut donner l’idée d’une satire souverainement atroce, on disait qu’elle ressemblait à celles d’Archilochus :

In malos asperrimus
Parata tollo cornua,
Qualis Lycambe spretus infido gener [6].


Ovide, dans le même esprit, a usé de cette menace :

Postmodo si perges, in te mihi Liber iambus
Tincta Lycambeo sanguine tela dubit.


C’est dans son poëme in Ibin, vs. 51, ouvrage si médisant que ceux qui ont cru qu’il l’a fait à l’imitation d’Archilochus [7] seraient excusables, s’il n’était pas aisé de connaître par ces deux vers, vs. 53,

Nunc quo Battiades inimicum devovet Ibin,
Hoc ego devoveo teque tuosque modo,


qu’Ovide s’est proposé d’imiter le poëte Callimachus. Il y a je ne sais combien de proverbes qui éternisent la médisance de notre poëte : Archilochia edicta, Ἀρχίλοχον πατεῖς, Archilochum teris, etc. On trouve le premier dans Cicéron, qui s’en est servi pour désigner les édits que le consul Bibulus faisait afficher. Ce pauvre consul, n’osant sortir de sa maison, ne retint quelque ombre d’autorité que pour se venger par des pasquinades, où il étalait les plus infâmes débauches de César, et disait leurs vérités à ses ennemis : In eam coëgit desperationem, ut quoàd potestate abiret domo abditus, nihil aliud quàm per edicta nunciaret [8], C’est ce que Cicéron appelle Archilochia edicta, qui plaisaient si fort au peuple, qu’on ne pouvait fendre la presse dans les rues où ils étaient affichés ; car on s’y rendait en foule pour les lire, et cela faisait crever de dépit Pompée : Archilochia in illum Bibuli edicta ità populo sunt jucunda, ut eum locum ubi proponuntur præ multitudine eorum qui legunt præterire nequeamus, ità ipsi acerba ut tabescat dolore, mihi meherculè molesta quòd et eum quem semper dilexi nimis excruciant [9]. Plutarque parle ainsi de ces édits de Bibulus : Βίϐλος μὲν εἰς τὴν οἰκίαν κατακλεισάμενος, ὀκτὼ μηνῶν οὐ προῆλθεν

  1. Salmas., Plin. Exerc., pag. 52.
  2. Idem, ibid., pag. 854.
  3. Scaliger, in Euseb., pag. 57, 58, edit. ann. 1658.
  4. Herod., lib. I, cap. XII.
  5. Horatius, de Arte Poeticâ, vs. 79.
  6. Idem, Epod. VI, vs. 13.
  7. Johannes Tortellius Aretinus, in Commentariis de Orthographiâ, et Jacobus Lannius, Subsecivar. Lect., lib. II, cap. IV, apud Dionys. Salvagnium Boëssium, Comment. in Ibin, pag. 25.
  8. Sueton., in Cæsar., cap. XX. Vide etiam cap. XLIX.
  9. Cicer. ad Attic., Epist. XXI, lib. II.