Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
ARCHILOCHUS.

grec, nommé Œnomaüs, qui donne Îe nom d’Archias à celui qui tua Archilochus. Quarè, dit-il [1], qui Archilochum occidit Archias à templo quasi scelestus exire ab Apolline jussus est : Musarum enim amicum occiderat. Galien a rapporté les paroles de l’oracle :

Μουσάων θεράποντα κατέκτανες, ἔξιθι νηοῦ.

Musarum famuli occisor, templo procul esto [2].


On a fort blâmé Apollon d’avoir reconnu pour client des Muses, et d’avoir extrêmement loué un poëte qui avait écrit tant de saletés. Œnomaüs en fait des reproches à ce dieu [3]. Origène et Eusèbe se sont servis de cela pour faire honte aux païens. Τούτοις προσθῶμεν, dit Eusèbe [4], καὶ δι᾽ ὧν αὖθις ὁ Ἀπόλλων θαυμάζει τὸν Ἀρχίλοχον, ἄνδρα παντοίαις κατὰ γυναικῶν αἰσχροῤῥημοσύναις καὶ ἀῤῥητολογίαις ἃς οὐδ᾽ ἀκοῦσαί τις σώϕρων ἀνὴρ ὑπομείνειεν, ἐν τοῖς οἰκείοις ποιήμασι κεχρημένον. Addamus verò quæ summam in Archilochi commendationem effundit hominis ejusmodi qui opera sua omni adversùs mulieres obscenitate verborum impleverit, quam ne audire quidem homo verecundus possit. Je ne rapporte pas le passage d’Origène ; on le trouvera au livre III contre Celsus, à la page 125 de l’édition de Cambridge, en 1677.

(I) Le meurtre d’Archilochus avait été fait de bonne guerre. ] J’ai déjà dit que Suidas nous apprend ce fait plus clairement que Plutarque ; mais il me reste quelque chose à dire qui vaut la peine d’être rapporté. On a un petit Traité des républiques, attribué à Héraclide ; l’ordre que la prêtresse de Delphes donna au meurtrier d’Archilochus de sortir du temple, s’y trouve, avec la réponse du meurtrier, Cette réponse est une énigme impénétrable dans la traduction latine. Le traducteur suppose que ce meurtrier répondit. : je suis innocent ; car je l’ai tué de loin, comme la loi le commande. Voici le grec et la version [5] : Ἀρχίλοχον τὸν ποιητὴν Κόραξ ὄνομα ἔκτεινε, πρὸς ὅν ϕασιν ειπεῖν τὴν Πυθίαν, ἔξιθι νηοῦ· τοῦτον δὲ ἐιπεῖν, ἀλλὰ καθαρός εἰμι ἄναξ· ἐκ χειρῶν γὰρ νόμῳ ἔκτεινα. Quidam Corax dictus Archilochum poëtam interfecit. Itaque Pythia ad eum aïebat, exi templo. Cui is respondit : At purus sum rex, eminùs enim ut lex jubet interfeci (Archilochum). Un de mes amis, grand humaniste [6], m’avoua qu’il n’avait jamais ouï parler, non plus que moi, d’un édit qui disculpât les meurtriers qui tuaient de loin, et qu’il ne croyait pas non plus que moi que ἐκ χειρῶν signifiât eminùs. Comme il est intime ami de M. Gronovius, il le consulta sur cette difficulté, et voici la docte réponse de ce savant professeur : Ἐν χειρῶν νόμῳ [* 1], locutio est propria in prœliis occisorum et occidentium. Quem in illo fervore vel gladius, vel alia machina, vel bellua deprehendens ad Orcum mittit, is trucidatur ἐν χειρῶν νόμῳ· Ità omnes Græci et præsertìm Polybius, ut libro 1, cap. 34, Καταπατούμενοι σωρηδὸν ἐν χειρῶν νόμῳ διεϕθείροντο. Ὁ πάνυ [7] illic pugnantes : quod quidem non sufficit, nam et in prœlio multi possunt non pugnantes occidi, et tamen ἐν χειρῶν νόμῳ. Rursùs eodem libro, cap 57 : τούτους γὰρ αὐτοὺς ἀεὶ συνέϐαινε διαϕθείρεσθαι κατὰ τὰς συμπλοκάς τοὺς ἐν χειρῶν νόμῳ περιπεσόντας. Il ne reste plus de difficulté, après cette savante réponse : on voit que Corax n’a voulu dire autre chose, sinon qu’il a tué Archilochus dans un combat selon les lois de la guerre.

  1. * Gronovius aurait dû prévenir qu’il y avait faute dans l’Héraclide de Gragius, sans cela cette note est obscure. En effet, Bayle demande l’explication de ces mots ἐκ χειρῶν, et la solution de Gronovius porte sur cette phrase ἐν χειρῶν νόμω qui est la bonne leçon. Koeler dans son édition d’Héraclide (Hal. Sax. 1804) a corrigé la faute de Gragius.
  1. Euseb., Præpar. Evangel., lib. V, cap. XXXIII, cité par le père Hardouin sur Pline, tom. II, pag. 124. Ce ne sont pas les propres termes d’Œnomaüs : c’est seulement sa pensée.
  2. Galen., in Suasoriâ, tom. II, cap. IX, pag. 10. apud Harduin., ibidem.
  3. Œnomaüs, apud Eusebium, Præpar. Evangel., lib. V, cap. XXXIII.
  4. Ibidem, cap. XXXII, pag. 227.
  5. Juxta editionem Nicolai Cragii ad calcem Tractatûs de Republicâ Lacedæmonior., pag. 19.
  6. C’est M. Henricius, dont on pourra voir l’éloge dans l’épître dédicatoire du Traité que M. Gronovius publia à Leide, l’an 1693, sous le titre de Disquisito de Icunculâ Smetianâ quam Harpocraten indigetarunt. Je suis bien aise d’avoir cette occasion de témoigner publiquement à M. Henricius ma reconnaissance de la bonté singulière qu’il a de me prêter les livres de son excellente bibliothéque.
  7. C’est-à-dire Casaubon.