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ARISTANDRE.

signe funeste à la ville qu’on assiégerait [a]. Dans une autre rencontre, il interprète le présage d’un corbeau qui avait laissé tomber quelque chose sur la tête d’Alexandre, et puis s’était allé mettre sur une tour où l’on l’avait pris [b]. Les entrailles des victimes étaient aussi du ressort de ce grand devin [c] : il expliquait même les présages des actions des hommes (E). Il y a donc beaucoup d’apparence que c’est à lui que l’on doit donner ce livre tout rempli d’événemens prodigieux, duquel Pline fait mention (F). Mais pour les livres d’agriculture, dont Varron et Columelle ont parlé [d], je les croirais facilement d’un autre Aristandre ; vu même que Varron a donné le surnom d’Athénien à celui qui les a faits. Notre Aristandre survécut au roi son maître, et fut cause par ses remontrances qu’on songea tout de bon à l’enterrer. Je ne sais pas si cette particularité a été touchée par quelqu’autre que par Élien, qui en fait mention au dernier chapitre du XIIe. livre de son Histoire diverse.

  1. Q. Curtius, lib. IV, cap. II.
  2. Idem, ibid., cap. VI.
  3. Q. Curtius, lib. VII, cap. VII. Plutarchus., in Alexandro, pag. 679.
  4. Le père Hardouin dans son Index auctorum, prend pour le même Aristandre celui de Varron et Columelle, et celui de Pline.

(A) Il s’acquit un ascendant merveilleux sur l’esprit d’Alexandre-le-Grand. ] Il est certain, d’un côté, qu’il y avait pas dans l’armée macédonienne aucun devin qui eût autant de réputation et d’autorité qu’Aristandre : Peritissimus vatum [1] ; cui maxima fides habebatur [2] ; cui tum plurimùm credebatur ex vatibus [3]. Il est d’ailleurs très-constant qu’Alexandre était fort superstitieux : Erat non intactus eâ superstitione mentis [4]. Superstitionis potens non erat [5]. Il est donc aisé de conclure qu’Aristandre avait beaucoup de pouvoir sur lui. Ce prince, comme le remarque Quinte-Curce, lui avait livré sa crédulité : Qui post Darium victum ariolos et vates consulere desierat, rursùs ad superstitionem humanarum gentium ludibria devolutus, Aristandrum cui credulitatem suam addixerat, explorare eventum rerum sacrificiis jubet [6]. C’était avec lui qu’il s’enfermait lorsqu’il était question de se rendre les dieux favorables dans les grandes crises des affaires : c’était, dis-je, avec lui qu’il s’enfermait pour exécuter les plus mystérieuses et les plus ineffables cérémonies de la religion. C’est Plutarque qui nous l’apprend, lorsqu’il raconte les préparatifs de la bataille d’Arbelles : Ἀλέξανδρος δὲ, τῶν Μακεδόνων ἀναπαυομένων, αὐτὸς πρὸ τῆς σκηνῆς μετὰ τοῦ μάντεως Ἀριςάνδρου διέτριϐεν, ἱερουργίας τινὰς ἀποῤῥήτους ἱερουργούμενος, καὶ τῷ Φοίϐῳ σϕαγιαζόμενος [7]. Alexander quiescentibus Macedonibus cum vate Aristandro egit pro tabernaculo suo sacris quibusdam arcanis operans, atque Apollini immolans. Quinte-Curce dit qu’en cette occasion, Alexandre bien en peine fit venir auprès de lui Aristandre, afin d’implorer le secours des dieux, et qu’Aristandre, en habit de cérémonie, lui dictait le formulaire des prières : Alexander non aliàs magis territus ad vota et preces Aristandrum vocari jubet. Ille in candidâ veste verbenas manu præferens, capite velato prœibat preces regi Jovem, Minervam, Victoriamque propitianti [8]. On ne doit pas s’étonner que ce prince fît tant de cas de son devin ; car il en retirait plus de service que d’aucun de ses généraux. Par son moyen, il remplissait d’espérance et de courage son armée ; et c’étaient de grandes avances pour réussir dans ses entreprises. Voyez-moi cet Aristandre, qui, au plus fort de

  1. Curtius, lib. IV, cap. II.
  2. Id., ibid., cap. VI.
  3. Idem, lib. V, cap. IV.
  4. Idem, lib. IV, cap, VI.
  5. Idem, lib. VII, cap. VII
  6. Idem, lib. VII, cap. VII.
  7. Plutarch., in Alexand., pag. 683.
  8. Quint. Curtius, lib. IV, cap. XIII.