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ANAXAGORAS.

entourés d’autres corpuscules qui ne leur ressemblaient pas. Elle joignit ensemble les corpuscules de même espèce ; et par ce moyen elle fit ici un astre, là une pierre, ailleurs de l’eau, de air, du bois, etc. Cette action fit que l’univers fut partagé en plusieurs amas de particules semblables ; mais de telle manière, que les particules d’un amas ne ressemblaient point aux particules d’un autre : il n’y avait de la ressemblance qu’entre les portions d’un même amas. Il faut donc ici donner au mot tout, non pas le sens collectif, mais le sens distributif ; et sans cela, vous auriez autant de raison de dire que le monde a été formé de particules dissemblables, que de dire qu’il a été fait de particules semblables. Louis Vives, ayant observé que ce passage de saint Augustin, Anaxagoras... dixit ex infinitâ materiâ quæ constaret dissimilibus inter se particulis, etc. porte dans les vieux manuscrits similibus inter se particulis, ajoute, utrumque rectè.

Quant aux objections qu’Anaxagoras avait à craindre, nous en dirons quelque chose dans la remarque (G).

(D) Il fut le premier qui supposa qu’une intelligence produisit le mouvement de la matière, et débrouilla le chaos. ] Ce sont des faits bien attestés : Πρῶτος τῇ ὕλῃ νοῦν ἐπέςησεν, ἀρξάμενος οὕτω τοῦ συγγράμματος, ὅ ἐςιν ἡδέως καὶ μεγαλοϕρόνως ἡρμηνευμένον. Πάντα χρήματα ἦν ὁμοῦ, εἶτα νοῦς ἐλθὼν αὐτὰ διεκόσμησε [1]. Primus hic materiæ mentem adjecit, in principio operis sui suavi ac magnificâ oratione sic scribens : « Omnia simul erant, deindè accessit mens, eaque composuit. » J’ai cru qu’il fallait commencer par ce passage de Diogène Laërce, parce que l’on y trouve les propres paroles d’Anaxagoras [2]. Voyons ce qu’Aristote remarque sur ce sujet. Il condamne les philosophes, qui, en traitant des principes, ne s’arrêtaient qu’à la cause matérielle, sans rechercher la cause efficiente des générations et des corruptions. La cause matérielle, dit-il, ne se change pas elle-même, le cuivre ne se convertit pas lui-même en statue, ni le bois en lit : il y a un autre principe de ce changement : chercher ce principe, c’est remonter jusqu’au premier moteur. Ses paroles sont si remarquables, qu’il est bon de les rapporter : Εἰ γὰρ ὅτι μάλιςα πᾶσα ϕθορὰ καὶ γένεσις ἔκ τινος, ὡς ἑνὸς ἢ καὶ πλειόνων ἐςὶν, διὰ τὶ τοῦτο συμϐαίνει, καὶ τὶ τὸ αἴτιον ; οὐ γὰρ δὴ τό γε ὑποκείμενον αὐτὸ ποιεῖ μεταϐάλλειν ἑαυτό· λέγω δ᾽ οἷον, οὔτε τὸ ξύλον οὔτε ὁ χαλκὸς αἴτιος τοῦ μεταϐάλλειν ἑκάτερον αὐτῶν· οὐδὲ ποιεῖ τὸ μὲν ξύλον κλίνην, ὁ δὲ χαλκὸς ἀνδριάντα, ἀλλ᾽ ἕτερόν τι τῆς μεταϐολῆς τὸ αἴτιον· τὸ δὲ τοῦτο ζητεῖν, ἐςὶ τὸ τὴν ἑτέραν ἀρχὴν ζητεῖν, ὡς ἂν ἡμεῖς ϕαίημεν, ὅθεν ἡ ἀρχὴ τῆς κινήσεως [3]. Nam etsi quàm maximè omnis corruptio, et generatio ex aliquo ut ex uno aut ex pluribus sit, cur hoc accidit, et quæ causa est ? Hon enim ipsum subjectum sese mutari facit, ut puta, dico quòd neque lignum, neque æs causa est, ut utrumque eorum mutetur. Neque lignum quidem lectum, æs verò statuam facit, sed aliud quippiam mutationis causa est. Hoc autem quærere, aliud principium quærere est, perindé atque id, quod nos undè principum motûs dicimus. Il ajoute 1°., qu’après qu’on eut reconnu l’insuffisance des élémens, la force de la vérité contraignit les physiciens à rechercher un autre moteur. 2°. Qu’il n’est point probable, ni que le feu, la terre, etc. soient la cause du bel état de certains êtres, et de la génération des autres ; ni que ces anciens philosophes l’aient cru. 3°. Qu’il ne serait pas raisonnable d’attribuer un si grand effet au hasard et à la fortune : Οὐδ᾽ αὐτῷ αὐτομάτῳ καὶ τύχῃ τοσοῦτον ἐπιτρέψαι πράγμα καλῶς ἔχει. Nec rursùs casui et fortunæ tantam attribuere rem probè se habet [4]. Que c’est pour cela qu’Anaxagoras, qui dit que dans la nature, non moins que dans les animaux, un esprit est l’auteur du monde et de l’ordre, parut comme un personnage de bon sens, en comparaison des physiciens ses prédécesseurs, grands diseurs de rien. Il y a beaucoup plus de force dans l’original, que dans l’idée que j’en donne. Tous ceux qui seront capables de bien entendre le grec que je vais copier, trouveront que mon aveu est sin-

  1. Diogen. Laërt. in Anaxagorâ, initio lib. II, num. 6.
  2. On les trouve aussi dans Plutarque, de Placitis philosophor., lib. I, cap. III, pag. 876, D.
  3. Arist. Metaphys., lib. I, cap. III, pag. 645, H.
  4. Idem, ibid., pag. 646. C.