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ANAXAGORAS.

esse mista, intellectu excepto : hunc verò solum, impermistum et purum. Voici un témoignage de Plutarque, qui nous apprend, d’une façon très-manifeste, qu’Anaxagoras donnait à Dieu la première production du mouvement et de l’ordre : Ὀ δὲ Ἀναξαγόρας ϕησὶν ὡς εἱςήκει κατ᾽ ἀρχὰς τὰ σώματα, νοῦς δὲ αὐτὰ διεκόσμησε θεοῦ, καὶ τὰς γενέσεις τῶν ὅλων ἐποίησεν. ὁ δὲ Πλάτων
οὐχ ἑςηκότα ὑπέθετο τὰ πρῶτα σώματα, ἀτάκτως δὲ κινούμενα. διὸ καὶ θεὸς (ϕησὶν) ἐπιςήσας ὡς τάξις ἀταξίας ἐςὶ βελτίων, διεκόσμησε ταῦτα[1]. Anaxagoras dixit initio constitisse corpora, Dei autem mentem ea digessisse, itaque omnium rerum ortus effecisse. Plato posuit prima corpora non stetisse, sed absque ordine fuisse mota. « Deus autem, inquit, ordinem animadvertens confusioni præstare, ea composuit. » Vous voyez là une extrême différence entre Anaxagoras et Platon. Le premier suppose que Dieu trouva les corps en repos : le second, au contraire, que Dieu les trouva en mouvement. Je suis épouvanté de la réflexion que fait Plutarque sur ces deux dogmes ; car non-seulement elle enferme une impiété horrible, mais aussi une contradiction très-grossière. Il avait blâmé les philosophes qui ne reconnaissent qu’un principe : Il est impossible, avait-il dit[2], que la matière soit le seul principe de toutes choses : il faut y joindre la cause efficiente ; car l’argent ne suffit pas pour la production d’un vase, si l’on n’a de plus un ouvrier qui fasse ce vase. La même chose se doit dire de l’airain, du bois, et de toute autre matière. Dans la même page il avait loué Anaxagoras d’avoir admis un entendement qui eût arrangé les particules semblables : Τὰς μὲν ὁμοιομερείας, ὕλην, τὸ δὲ ποιοῦν αἴτιον τὸν νοῦν τὰ πάντα διαταξάμενον[3] : Homœomerias statuit materiam ; causam verò efficientem, mentem quæ disponeret universa ; c’est à dire, d’avoir ajouté la cause efficiente au sujet passif, et l’ouvrier à la matière. Ἀποδεκτέος οὗτος ἐςὶν ὅτι τῇ ὔλῃ τὸν τεχνίτην προσέζευξεν[4]. Hic approbandus est qui materiæ artificem adjunxerit. Que veut-il donc dire, lorsque cinq pages après il censure Anaxagoras et Platon, celui-là d’avoir attribué à Dieu le mouvement et l’arrangement des corps, celui-ci de lui en avoir attribué l’arrangement ? Leur erreur commune, dit-il, est de penser que Dieu se soucie des choses humaines, et qu’il a bâti un monde pour cet effet. Κοινῶς οὖν ἁμαρτάνουσιν ἀμϕότεροι, ὅτι τὸν θεὸν ἐποίησαν ἐπιςρεϕόμενον τῶν ἀνθρωπίνων, ἢ καὶ τούτου χάριν τὸν κόσμον κατασκευάζοντα[5]. Communis ambobus hic est error, quòd Deum faciunt res humanas curantem, ac eâ de causâ mundum adornantem. Après quoi il étale les raisons les plus spécieuses qu’un athée puisse alléguer contre ceux qui attribuent à Dieu d’avoir fait le monde, et de le régir. Quoi donc ! il approuve qu’Anaxagoras admette une intelligence qui ait été le premier moteur des corps et la cause efficiente du monde ; et il le blâme de prendre pour Dieu ce premier moteur et cet agent ? Peut-on raisonner d’une manière plus pitoyable et moins uniforme ? Et si l’on voulait opiniâtrer qu’il n’y a point là de contradiction, ne faudrait-il pas du moins convenir qu’il a réfuté en cet endroit-là une infinité d’autres passages de ses livres, où il suppose la providence ?

Je serais trop long, si je voulais rapporter tous les témoignages qui établissent l’une ou l’autre de ces deux vérités, ou même toutes les deux : 1o. qu’Anaxagoras admettait une intelligence qui avait mû la matière, et formé le monde par le triage des homogénéités ; 2o. qu’il fut le premier philosophe qui avança ce système. Contentons-nous donc d’indiquer Platon[6], Tertullien[7], Clément d’Alexandrie[8], Eusèbe[9], Thémistius[10], saint Augustin[11],

  1. Plutarch. de Placit. Philosophor., lib. I, cap. VII, pag. 881, A.
  2. Idem, ibid, cap. III, pag 876.
  3. Idem, ibid.
  4. Idem, ibid.
  5. Plutarch. de Placit. Philosophor., cap. VII, pag. 881, A.
  6. Plato, in Phædone, pag. 72.
  7. Tertullian., de Animâ.
  8. Clem. Alexandr. Stromat., lib. II, pag. 364.
  9. Euseb., de Præpar. Evangel., lib. XIV, cap. XIV, pag. 550.
  10. Themist. Orat. XV.
  11. Augustin. de Civitat. Dei, lib. VIII, cap. II.