Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
471
ARTÉMISE.

capitaines de vaisseau d’y tâcher [a]. On voyait sa statue à Lacédémone parmi celles des généraux perses, dans le portique qui avait été construit des dépouilles de cette nation [b]. La ruse dont elle se servit, pour se rendre maîtresse de Latmus, est aussi bonne selon le machiavélisme, que mauvaise selon le christianisme : elle mit ses troupes en embuscade, et s’en alla avec un grand équipage de dévotion composé d’eunuques, de femmes, de trompettes et de tambours, célébrer la fête de la mère des dieux dans le bois qui lui était consacré auprès de la ville. Les habitans, édifiés de ce zèle, accoururent là pour admirer sa dévotion ; et pendant cela, les troupes d’Artémise s’emparèrent de Latmus [c]. Ces grandes qualités ne la délivrèrent pas des faiblesse amoureuses (E) : elle aima passionnément un homme d’Abydos, nommé Dardanus, et fut si outrée de son mépris, qu’elle lui creva les yeux pendant qu’il dormait [d]. Les dieux pour la punir la rendirent encore plus amoureuse : de sorte que l’oracle lui ayant conseillé d’aller à Leucade [e], le refuge des amans désespérés, elle y fut faire le saut, et n’en réchappa point. Elle fut enterrée en ce lieu-là. Bien des gens la confondent mal à propos avec l’Artémise dont je vais parler (F).

  1. Herod., lib. VIII, cap. XCIII.
  2. Pausan., lib. III, pag. 93.
  3. Polyænus, Strat., lib. VIII, cap. LIII.
  4. Ptolem. Hephæst., apud Phot., cod. CXC, pag. 491.
  5. Voyez l’article Leucade.

(A) Elle était fille de Lygdamis. ] Hérodote ne dit point ce que Moréri lui fait dire ; savoir, que Lygdamis était roi d’Halicarnasse [1]. Il dit seulement qu’Artémise était d’Halicarnasse, du côté de son père ; et de Crète, du côté de sa mère. Si je ne voyais point dans ce même historien que le Lygdamis, qui assista Pisistrate, et auquel Pisistrate, après s’être rétabli à Athènes, donna le commandement de l’île de Naxos, était natif de cette île [2], je le prendrais pour le père ou pour l’aïeul de notre Artémise. M. Blancard a laissé dans son édition d’Harpocration [3] la faute des précédentes, Damis, pour Lygdamis [4]. Les notes de M. de Valois avertissent de la correction qu’il fallait faire, et que M. Gronovius a faite en publiant Harpocration l’an 1696.

(B) Elle suivit en personne le roi Xerxès dans la guerre contre Les Grecs [5]. ] Suidas dit que ce fut contre les Perses qu’elle prit parti [6], mais ce passage pourrait bien avoir été estropié ; car le bon mot de Xerxès rapporté tout de suite par Suidas, les hommes sont devenus femmes, et les femmes sont devenues hommes, serait destitué de sens, si Artémise avait été dans l’armée grecque, vu que les hommes s’y battirent comme des lions. Maussac suppose qu’il y a dans Suidas tout comme dans Harpocration, κατὰ τὰ Περσικὰ, tempore belli Persici [7].

(C) Elle fit croire que.... son vaisseau était du parti des Grecs. ] Hérodote a oublie une circonstance très-essentielle, sans quoi sa narration perd beaucoup de sa vraisemblance. Il ne nous dit point, comme il devait faire, et comme Poliænus a fait, qu’Artémise fit ôter de son vaisseau le pavillon perse [8]. Poliænus lui fait tenir la conduite de ces pirates qui arborent toutes sortes de pavillons selon le besoin. Quand elle poursuivait un vaisseau grec, elle arborait le pavillon des barbares ; mais s’il fallait fuir devant les Grecs, elle arborait leur pavillon. Il tourne en tant de

  1. Herod., lib. VII, cap. XCIX.
  2. Idem, lib. I, cap. LXI, LXIV.
  3. C’est celle de Leyde, en 1683.
  4. In Ἀρτεμισία.
  5. Herod., lib. VII, cap. XCIX.
  6. Ἠρίςευσε κατὰ Περσῶν, Fortissimè se gessit adversùs Persas.
  7. Maussac., Notæ in Harpocrat.
  8. Polyæn. Stratagem., lib. VIII, cap. LIII.