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BRACHMANES.

et d’elle : Dieu est elle, et elle est Dieu, depuis que par la consommation du mariage, elle est recoulée en Dieu, et se trouve perdue en lui sans pouvoir se distinguer ni se trouver. La vraie consommation du mariage fait le mélange de l’âme avec son Dieu....... Le mariage se fait lorsque l’âme se trouve morte et expirée entre les bras de l’époux, qui la voyant plus disposée, la reçoit à son union ; mais la consommation du mariage ne se fait, que lorsque l’âme est tellement fondue, anéantie, et désappropriée, qu’elle peut toute sans réserve s’écouler en son Dieu. Alors se fait cet admirable mélange de la créature avec son Créateur, qui les réduit en unité....... Que si quelques saints, ou quelques auteurs, ont établi ce mariage divin dans des états moins avancés que n’est celui que je décris, c’est qu’ils prenaient les fiançailles pour le mariage, et le mariage pour la consommation [1]. L’absurdité de ce dogme par rapport à la métaphysique est monstrueuse ; car, s’il y a quelque chose de certain dans les idées les plus claires, il est impossible de toute impossibilité qu’il se fasse un changement réel, ni de Dieu en la créature, ni de la créature en Dieu. Ovide et les autres poëtes païens n’étaient pas assez insensés pour faire mention d’une semblable métamorphose. Que ne pourrait-on pas alléguer contre ce jargon des quiétistes, qu’une âme n’est plus en soi, ni par soi, qu’elle est recoulée et abîmée en Dieu par une présence foncière et centrale [2] ; qu’elle admire Dieu en son fond abyssal et suréminent [3] ? Peut-on leur passer cet état de déification, où tout est Dieu, sans savoir que cela est ainsi..... [4], cet état d’union essentielle, où l’âme devient immuable, et a perdu tout moyen..., cette union non-seulement essentielle, mais immédiate et sans moyen plus substantielle que l’union hypostatique..... cette union centrale avec Dieu, laquelle n’a point besoin de Jésus-Christ médiateur [5] ? Cette sorte d’eutychianisme multipliable à l’infini ferait horreur à Eutychès même. Mais, quand on voudrait leur faire quartier sur toutes ces choses, pourrait-on leur pardonner les grossièretés et les images d’obscénité dont ils se servent, si propres à faire tourner en ridicule la religion, et qui surpassent en quelque manière toute la licence des anciens poëtes du paganisme ? Pourrait-on leur pardonner ce qu’ils assurent, que, pour mener l’âme à l’état de mort, qui est un préparatif à la déification, Dieu permet que les sens s’extravertissent, c’est-à-dire, qu’ils se débauchent, ce qui paraît à l’âme une grande impureté. Cependant la chose est de saison, et en faire autrement c’est se purifier autrement que Dieu veut, et se salir [6]. Il se fait des fautes dans cette extraversion, mais la confusion que l’âme en reçoit, et la fidélité à en faire usage fait le fumier où elle pourit plus vite, et hâte sa mort [7]. Quoi de plus dangereux aux bonnes mœurs ? J’aurai apparemment quelque occasion de montrer que la prétendue union essentielle de ces gens-là pourrait être fort bien nommée le paradis de Sénèque.

(L) Une araignée leur sert d’emblème pour expliquer cette opinion. ] Voici comment M. Burnet rapporte cela. Hoc autem more cabalistico vel mythologico exprimunt. Fingunt enin immensam quandam Araneam esse prima rerum causam : Quæ, materiâ è suis visceribus eductâ, hujusce universi telam contexuit, et mirâ arte ordinavit. Sed et illa intereà in arce sui operis, et cujusque partis motum sentit, regit, et moderatur. Tandem, cùm satis lusit in suâ telâ adornandâ et contemplandâ, retrahit, quæ evolverat, fila atque ita omnia resorbet in seipsam, totaque rerum creatarum natura in nihilum evanescit. Hoc modo Mundi ortum, ordinem, et interitum, repræsentant hodierni brachmanes [8]. Cette comparaison de l’au-

  1. Madame Guyon, Explicat. du Cantique des Canutiques, pag. 145 et suiv., citée par la Bruyère, Dialogue VII sur le Quiétisme, p. 239.
  2. La Bruyère, Dial. VII, pag. 261.
  3. L’abbé d’Estival, Conférenc. mystiques, citées par le même, Dialogue II, pag. 35.
  4. Madame Guyon, au livre des Torrens, cité par le même, Dialogue VII, pag. 258.
  5. La Bruyère, Dialogue VI, pag. 222, 223.
  6. La même, Dialogue VII, pag. 285.
  7. La même, pag. 286.
  8. T. Burnetius, in Appendice Archæol. Philosoph. pag. 472.