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CAPET.

ce prince qu’il ne faut pas prendre à la lettre le mot de boucher ; Car, Dante qui, durant son exil, fut longtemps en cette ville de Paris, n’a pas ignoré notre façon de parler. Quand un prince est un peu rigoureux à faire faire justice de plusieurs malfaiteurs, nous disons qu’il en fait une grande boucherie ; et ainsi notre-dit poëte appelle Hugues-le-Grand, comte de Paris, père du susdit Hugues Capet, grand justicier de son temps des gentilshommes et autres-malfaiteurs et rebelles, boucher de Paris, comme je montre plus à plein aux annotations ; et quelqu’un de nos chroniqueurs citant ce passage sainement le remarque. Cette explication n’est guère moins ridicule que le mensonge même de Dante. Il a pris sans doute le mot de boucher littéralement. Je ne sais si quelque faiseur de libelle l’avait précédé, ou s’il fut le premier auteur de cette sottise ; mais il est certain que plusieurs l’ont débitée. Tant il est vrai qu’il n’y a point de mensonge, pour si absurde qu’il soit, qui ne passe de livre en livre, et de siècle en siècle. Mentez hardiment, imprimez toutes sortes d’extravagances, peut-on dire au plus misérable lardoniste de l’Europe, vous trouverez assez de gens qui copieront vos contes ; et si l’on vous rebute dans un certain temps, il naîtra des conjonctures où l’on aura intérêt de vous faire ressusciter [1]. On trouve dans les Annales de Papyre Masson un passage qui nous apprend que plusieurs auteurs ont dit la même chose que Dante. Itali quidam Hugonem humili genere natum scripsêre, seu ignorantiâ, seu odio. Dantes poeta illum parisiensis beccai filium fuisse canit, quæ vox lanium sonat. Is Florentiâ a Carolo Valesio pulsus Philippum-Pulchrum et Francos oderat, ut rectè in mentem venerit Volaterrano, Dantis opinionem refellere, etsi Ricordanus et Villaneus in Etruscis Annalibus id quoque à pluribus litteris mandatum affirmant [2]. Voyez la remarque suivante.

(B)... On prétend que François Ier. se mit extrêmement en colère, quand il sut que Dante avait parlé de la sorte. ] « Le passage de Dante lu et expliqué par Louis Alleman, Italien, devant le roi Francois, premier de ce nom, il fut indigné de cette imposture, et commanda qu’on le lui ostât, voire fut en esmoi d’en interdire la lecture dedans son royaume. » Pasquier, après avoir dit cela, avance une conjecture qui ne vaut pas mieux que celle que j’ai rapportée. Pour excuser cet auteur, dit-il [3], je voudrais dire que sous ce nom de boucher il entendait que Capet était fils d’un grand et vaillant guerrier... De cette même façon ai-je lu qu’Olivier de Clisson était ordinairement nommé boucher par les nôtres, parce que de tous les Anglais qui lui tombant entre les mains il n’en prenait aucun à merci, ains les faisait tous passer au fil de l’épée. Il ajoute que ceux de la religion appelaient boucher Francois de Lorraine, duc de Guise. Si Pasquier avait examiné ce qui suit et ce qui précède le vers de Dante, il n’aurait pas cru que ce poëte a pu vouloir dire que Capet était fils d’un grand et vaillant guerrier ; car, quand on a cette intention, on ne prétend point dire du mal d’une personne, et il est visible que Dante veut médire de Hugues Capet. Il y a des occasions où l’on ne devrait faire que narrer. Si Pasquier se fût contenté de dire que François Ier. se mit en colère contre Dante, et que la sottise de ce poëte, quoiqu’il l’eût écrite à la traverse, et comme faisant autre chose, a servi de fondement à plusieurs auteurs, il ne mériterait que des louanges. Il cite François de Villon, plus soucieux des tavernes et cabarets que des bons livres [4], qui a dit en quelque endroit de ses Œuvres :

Si feusse des hoirs de Capet
Qui fut extrait de boucherie.

Il ajoute qu’Agrippa.…. sur cette première ignorance déclame impudemment contre la généalogie de notre Capet [5]. Mais quelque déraisonnable qu’ait pu être la conjecture de Pasquier, elle ne laisse pas d’être approuvée par M. Bullart. Étienne Pas-

  1. Voyez la citation (68) de l’article Calvin.
  2. Papyr. Masso, Annal., lib. III.
  3. Pasquier, Recherches, liv. VI, chap. I.
  4. Idem, ibid., liv. IV, chap. I.
  5. En son livre de la Vanité des Sciences, au chapitre de la Noblesse.