Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T04.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
609
CAUSSIN.

heureusement égarée [* 1], et qui mériterait pourtant de voir le jour pour la satisfaction des esprits, si elle se pouvait recouvrer. »

On prétend que ce jésuite ne croyait pas que l’attrition par la seule crainte de l’enfer fût suffisante pour être justifiée dans le sacrement [1] ; et l’on veut même que sa doctrine sur ce sujet ait donné lieu à sa disgrâce. M. Arnauld sera mon témoin. « On a su par des personnes très-dignes de foi de la vieille cour, que votre père Caussin, étant confesseur du feu roi, se crut obligé de l’avertir que cela ne suffisait pas, et qu’on ne pouvait être justifié sans aimer Dieu. Ce qui fut une occasion au cardinal de Richelieu qui se défiait de lui de le faire chasser et reléguer à Quimper, en persuadant au roi que cette doctrine ne valait rien. Et c’est ce qui lui fit ensuite employer tout son crédit pour faire censurer ce que le père Seguenot avait dit sur ce sujet, dans ses remarques sur le livre de la sainte virginité, que ce ministre fit entendre au roi être la même chose que ce que lui avait dit le père Caussin [2]. »

On ne saurait assez admirer le silence du père Alegambe, et de son continuateur. Celui-là, publiant son livre depuis la disgrâce du père Caussin, ne marqua pas même qu’il eût été confesseur du roi : celui-ci, publiant le sien depuis la mort du même jésuite, marque à la vérité qu’il fut confesseur de Louis XIII, mais sans dire le moindre mot de sa disgrâce. M. Moréri n’a pas été moins mystérieux que les deux jésuites qui ont écrit la Bibliothéque des écrivains de leur ordre : il n’a rien dit, ni de cet emploi du père Caussin, ni de son éloignement de la cour.

(B) On a dit qu’il se laissa trop surprendre aux artifices d’un jésuite de la cour du duc de Savoie. ] Abrégeons sur ce sujet ce que M. Auberi en a publié [3]. Le père Monod, confesseur de la duchesse de Savoie, ayant dessein de brouiller la France, travailla avec chaleur au rappel de la reine mère. C’est pourquoi il eut soin, dans le voyage qu’il fit à la cour de France, de lier une étroite habitude avec le père Caussin, aussi jésuite, et confesseur du roi, et d’avoir diverses conférences avec lui, où il n’eut pas grande peine à le persuader, ni à gagner toute la créance qu’il désirait sur son esprit, étant bien un autre homme d’état, et un autre courtisan que n’était pas l’autre, et ayant autant d’esprit et de malice, s’il en faut croire le sentiment du Cardinal-Duc dans quelque dépêche, que le père Caussin avait de simplicité et d’ignorance. De sorte qu’ayant déjà cet avantage, il ne douta plus du succès de l’affaire, et qu’un prince religieux comme était Louis XIII ne dit suivre en un point de conscience les mouvemens et les avis de son confesseur. Et en effet, l’on remarqua au roi des inquiétudes et des chagrins extraordinaires depuis que le père Caussin lui eut renouvelé ses scrupules sur l’éloignement de la reine mère, et qu’il l’eut disposé à la rappeler, contre l’inclination et les sentimens de son Premier Ministre. Le duc de Savoie apprit au cardinal la correspondance et les menées de ces deux pères [4]. D’autres assurent qu’elles furent découvertes par l’imprudence du père Caussin, lequel étant sollicité par le duc d’Angoulême sur l’expédition d’une abbaye de filles qu’il poursuivait, lui insinua qu’il eût patience que le Cardinal fût éloigné des

  1. * Joly qui possédait une copie fidèle de cette lettre en donne l’extrait. Il paraît que, de concert avec mademoiselle de la Fayette le père Caussin travaillait à inspirer à Louis XIII des sentimens désavantageux contre Richelieu. Celui-ci conserva son empire, et, pour ne plus s’exposer à le perdre, fit exiler le père Caussin. Ce jésuite écrivait au pape Urbain VIII le 10 février 1643, cinq ou six ans après sa disgrâce, qu’il avait tâché de persuader cinq choses au roi : 1o. de maintenir l’autorité du saint siége et de ne pas permettre qu’on écrivît contre ; 2o. de pacifier les troubles de l’Église excités par le cardinal ; 3o. de ne point suivre le conseil de ce ministre qui voulait l’engager à une alliance avec le Turc contre des princes chrétiens ; 4o. de soulager ses peuples accablés par la rigueur des impôts ; 5o. de respecter et rappeler sa mère exilée par les intrigues du cardinal. Joly donne aussi la liste chronologique des neuf confesseurs de Louis XIII.
  1. Arnauld, page dernière de l’avertissement à la quatrième dénonciation de l’Hérésie du péché philosophique.
  2. Là même.
  3. Dans la Vie du cardinal de Richelieu, liv. VI, chap. XVI, pag. 47 du IIe. tome, edit. de Hollande.
  4. Le cardinal écrit cela lui-même, comme l’assure M. Auberi, là même, pag. 48.