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DARIUS.

qui abolirent la tyrannie des mages, et ce fut lui qui tua le prétendu Smerdis [a] (A). Afin de ne pas répéter les choses que l’on trouve dans le Dictionnaire de Moréri, je dirai seulement que l’épitaphe de ce roi de Perse contenait une singularité fort remarquable (B). Darius eut plus de femmes que Moréri ne lui en donne (C). Cet auteur a très-mal compté les expéditions de ce prince (D).

  1. Herod., lib. III, cap. LXXVIII.

(A) Ce fut lui qui tua le prétendu Smerdis. ] Je ne comprends rien dans ce que nous dit Moréri, que le dessein que sept grands seigneurs formèrent de détrôner Smerdis, fut heureusement exécuté par Cambyse qui mourut peu de temps après. Car en 1er. lieu, ce ne fut point Smerdis qui usurpa la couronne. Smerdis fils de Cyrus avait été mis à mort par les ordres de Cambyse son frère. L’usurpateur était un mage, qui fit accroire qu’il était Smerdis fils de Cyrus. En 2e. lieu, les mêmes seigneurs qui formèrent le dessein de détrôner cet usurpateur, furent ceux qui l’exécutèrent. Il ne fallait donc pas attribuer toute la gloire de l’exécution à un Cambyse. Cela est d’autant moins pardonnable à M. Moréri, qu’il n’a point dit si son prétendu Cambyse était l’un de ces seigneurs. En 3e. lieu, il n’y eut aucun Cambyse, ni dans le dessein de chasser le mage, ni dans l’exécution de cette entreprise. 4e. Enfin, aucun de ceux qui l’exécutèrent ne mourut fort peu aprés, et avant que l’on procédât à l’élection d’un nouveau monarque.

(B) L’épitaphe de ce roi de Perse contenait une singularité fort remarquable. ] Darius dans son épitaphe se vante d’avoir été un grand buveur, Titulo res digna sepulcri. Ἠδυνάμην καὶ οἶνον πίνειν πολὺν, καὶ τοῦτον ϕέρειν καλῶς [1]. Je pouvais boire beaucoup de vin, et porter bien cette charge. On ne peut nier que, physiquement parlant, ce ne soit une bonne qualité que celle dont Darius se glorifie ; car enfin, c’est une force, c’est une puissance, c’est l’effet d’un tempérament robuste : mais outre que c’est une qualité qui entraîne presque toujours un déréglement moral, je ne vois pas que l’on doive faire plus de cas de la faculté de bien boire, que de celle de manger beaucoup. Or il est certain que l’on sent je ne sais quelle aversion naturelle pour les grands mangeurs. Démosthène avait bonne grâce lorsqu’il dit à ceux qui donnaient à Philippe, roi de Macédoine, la louange de boire beaucoup [2], Ce n’est pas là une qualité royale, c’est celle d’une éponge [3]. Mais comme chaque nation a son goût, celui des Perses était d’estimer ceux qui pouvaient bien porter le vin. Le jeune Cyrus s’attribuait cette qualité, comme une chose qui le rendait plus digne du sceptre que ne l’était son aîné [4].

(C) Il eut plus de femmes que Moréri ne lui en donne. ] « Au sentiment d’Hérodote, il avait deux femmes, Atosse et Artistone. » C’est ce que dit M. Moréri : mais s’il avait pris la peine de feuilleter Hérodote, il y eût trouvé trois ou quatre femmes de Darius, outre ces deux-là. La première femme de ce prince était fille de Gobryas : il l’épousa avant que de monter sur le trône, et en eut trois fils, dont l’aîné Artabazane fut exclus de la succession en faveur de Xerxès, qui était l’aîné du second lit. Comme la mère de Xerxès était fille de Cyrus, et qu’il était né depuis que son père régnait, on le préféra à Artabazane, dont la mère n’était point princesse, et qui était né avant que Darius régnât. Voilà ce qu’on trouve dans les premiers chapitres du VIIe. livre d’Hérodote ; et voilà deux femmes de Darius : la fille de Gobryas, de laquelle j’ignore le nom, et Atosse fille de Cyrus, et mère de Xerxès. Cette fille de Cyrus avait déjà été femme de son frère Cambyse [5], et puis du mage qui usurpa la couronne sous le faux nom de Smerdis. Elle

  1. Athen., lib. X, cap. IX, pag. m. 434.
  2. Νὴ Δία συμπιεῖν ἱκανώτατον, strenuum profectò compotatorem. Plut., in Demosth., pag. 853.
  3. Idem, ibidem.
  4. Ci-dessus, citation (29) de l’article Cyrus, pag. 217.
  5. Herod., lib. III, cap. LXXXVIII.