Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/403

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
DASSOUCI.

louange composées par M. la Chapelle, il lui demanda raison, et de cette ingratitude, et de cette inconstance [1]. Il soutint qu’il était faux qu’il eût été rencontré par ces voyageurs, ni proche de Montpellier, ni à Avignon [2] : il assura qu’il n’était sorti de Montpellier que trois mois après son élargissement, de sorte qu’ils avaient avancé un grand mensonge, quand ils avaient dit qu’ils l’avaient trouvé hors de cette ville-là le jour même qu’il fut mis en liberté [3]. Il prétend qu’ils ne passèrent à Montpellier que deux ans après son aventure ; d’où il conclut qu’ils ont employé contre lui une fiction très-maligne [4]. Le mal est qu’encore qu’il les convainque de s’être donné en cela toute la licence des écrivains de roman, il ne put nier le fond de l’affaire ; car il avoue qu’on le mit dans un cachot à Montpellier, et qu’on l’accusa d’un commerce infâme. Au lieu, dit-il [5], d’attribuer au mérite de mon art la recherche que je faisais d’un enfant pour chanter pour le service de Madame Royale, le peuple disait que c’était pour en trafiquer avec les princes d’Italie, ou que, sous prétexte de musique [6], j’allais ainsi par le monde chercher des enfans, non pas pour les faire chanter, mais pour les vendre aux chirurgiens de Montpellier, pour en faire des anatomies [7]........ Que dirai-je de plus ? les catholiques, qu’en ce pays-là on appelle catholiques à gros grain, m’appelaient parpaillot [8] ; et les parpaillots m’appelaient athée : mais les femmes galantes, plus amies de leurs intérêts, et plus spéculatives, laissant le bon Dieu à part, m’appelaient hérétique, non en fait de religion, mais en fait d’amour ; et, sans se ressouvenir de tant de sérénades que je leur avais données, et de tant de tendresses que j’avais eues pour elles, quand dès mes plus jeunes ans, passant à Montpellier, je leur enseignais à jouer du luth, et leur mettais la main sur le manche, elles m’accusaient injustement des duretés que jadis Orphée eut pour les bacchantes, et tout cela sans autre fondement que leur chimérique imagination, déjà préoccupée par la renommée qui leur avait appris les longues habitudes que j’avais eues avec C. feu D. B. et feu C., et fomentée par la malignité de ces esprits irrités. Notez qu’il donne pour cause de toute cette persécution la colère d’une dame qui était adorée de tout Montpellier [9], et qui ne manqua pas de bander tous les ressorts de son esprit, et d’employer toutes ses machines pour le perdre [10]. Plusieurs précieuses prirent le parti de cette femme irritée, et jurèrent sur leurs mouches et par leur ampoule au fard, de ne se plâtrer jamais qu’elles n’eussent fait jeter ses cendres au vent [11]. Il fut assez imprudent pour les brusquer dans un poëme qu’il fit courir sous le titre d’Articles de paix aux précieuses de Montpellier. C’étaient des vers fort choquans et fort satiriques. Elles en furent sans doute d’autant plus choquées qu’il indiquait librement la vraie raison pourquoi, à son dire, elles le persécutaient, et demandaient que sa punition servît d’exemple. Il leur promettait d’être à l’avenir plus galant ; il leur faisait offre de ses forces, quoiqu’un peu atténuées par l’âge.

Mais rassurez vos cœurs jaloux,
Esclave des charmes plus doux,
J’adore partout la nature.
Sans m’appliquer à la torture,
Que la plus belle d’entre vous
Vienne un peu tenter l’aventure :
Je veux mourir sous l’imposture,
Si je n’apaise son courroux.
Sec et passé comme je suis,
Et non du tout si beau qu’un ange,
Je fais pourtant ce que je puis ;
Je ne suis pas un mâle étrange,
Garçon loyal et bon chrétien,
J’aime plus que votre entretien.
Pourquoi donc, sexe au teint de rose,
Quand la charité vous impose
La loi d’aimer votre prochain,
Me pouvez-vous haïr sans cause,
Moi qui ne vous fis jamais rien ?
Ha ! pour mon honneur je vois bien
Qu’il vous faut faire quelque chose [12].


Au reste, il accusa la Chapelle de lui avoir dérobé cette pensée [13].

  1. Là même, pag. 262, 264.
  2. Là même, pag. 255.
  3. Là même, pag. 164.
  4. Là même, pag. 156.
  5. Là même, pag. 108.
  6. Là même, pag. 110.
  7. Là même, pag. 112.
  8. C’est-à-dire, huguenot.
  9. D’Assouci, Aventures, tom. II, pag. 100.
  10. Là même, pag. 102.
  11. Là même, pag. 118.
  12. Là même, pag. 122.
  13. Là même, pag. 268.