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DAVID.

quand il tua Goliath que lorsqu’il vint la première fois à la cour de Saül ; car, au temps de ce premier voyage, il était homme fort et vaillant, et guerrier, et qui savait bien parler [1] ; il n’avait que trente ans lorsqu’après la mort de Saül il fut élu roi ; et il faut nécessairement qu’il se soit passé bien des années depuis la mort de Goliath, jusques à celle de Saül. Voyez la remarque où nous critiquons M. Moreri, et la remarque (L).

(E) Son règne... ne fut guère troublé que par l’attentat de ses propres enfans. ] Le plus grand de leurs attentats fut la révolte d’Absalom, qui contraignit ce grand prince à s’enfuir de Jérusalem, dans un équipage lugubre, la tête couverte, les pieds nus, fondant en larmes, et n’ayant les oreilles battues que des gémissemens de ses fidèles sujets [2]. Absalom entra dans Jérusalem comme en triomphe ; et afin que ses partisans ne se relâchassent point par la pensée que cette discorde du père et du fils viendrait à cesser, il fit une chose très-capable de faire croire qu’il ne se réconcilierait jamais avec David. Il coucha avec les dix concubines de ce prince, à la vue de tout le monde [3]. Il y a beaucoup d’apparence que ce crime lui aurait été pardonné : l’affliction extrême où sa mort plongea David en est une preuve. C’était le meilleur père que l’on vit jamais : son indulgence pour ses enfans allait au delà des justes bornes, et il en porta la peine tout le premier. Car s’il eût puni, comme la chose le méritait, l’action infâme de son fils Ammon [4], il n’aurait pas eu la honte et le déplaisir de voir qu’un autre vengeât l’injure de Tamar ; et s’il eût châtié comme il fallait celui qui vengea cette injure, il n’aurait pas couru risque d’être entièrement détrôné. David eut la destinée de la plupart des grands princes, il fut malheureux dans sa famille. Son fils aîné viola sa propre sœur, et fut tué par l’un de ses frères à cause de cet inceste : l’auteur de ce fratricide coucha avec les concubines de David.

(F) Peu s’en fallut qu’il ne retournât à la condition.... où Samuel le trouva. Ce revers lui était inévitable. ] On peut voir par cet exemple qu’il n’y a nul fond à faire sur la fidélité des peuples ; car enfin, David était tout ensemble un bon roi et un grand roi. Il s’était fait aimer ; il s’était fait estimer, et il avait pour la religion du pays tout le zèle imaginable. Ses sujets avaient donc lieu d’être contens, et s’ils avaient eu à choisir un prince, lui eussent-ils pu souhaiter d’autres qualités ? Cependant ils sont si peu fermes dans leur devoir à l’égard de David, que son fils Absalom, pour se faire déclarer roi, n’a qu’à se rendre populaire pendant quelque temps, et à entretenir quelques émissaires dans chaque tribu. On peut appliquer aux peuples la maxime, casta est quam nemo rogavit. Si l’on ne voit pas plus souvent des rois détrônés, c’est que les peuples n’ont pas été sollicités à la révolte par des intrigues assez bien conduites. Il ne faut que cela : si le prince n’est pas méchant, on sait bien le faire passer pour tel, ou pour esclave d’un méchant conseil. [* 1] Les prétextes ne manquent jamais ; et pourvu qu’on les soutienne habilement, ils passent pour une raison légitime, quelque faibles qu’ils soient dans le fond.

(G) Il a eu ses taches. ] Le dénombrement du peuple fut une chose que Dieu considéra comme un grand péché [5]. Ses amours pour la femme d’Urie, et les ordres qu’il donna de faire périr le même Urie [6], sont deux crimes très-énormes ; mais il en fut si touché, et il les expia par une repentance si admirable, que ce n’est pas l’endroit de sa vie par où il contribue le moins à l’instruction et à l’édification des âmes fidèles. On y apprend la fragilité des saints ; et c’est un précepte de vigilance : on y apprend de quelle manière il faut pleurer ses péchés ; et c’est un très-beau modèle. Quant aux remarques que certains critiques voudraient étaler pour faire voir qu’en quelques autres actions de

  1. * Cette dernière phrase n’existait pas dans l’édition de 1697.
  1. Ier. livre de Samuel, chap. XVI, vs. 18.
  2. IIe. livre de Samuel, chap. XV.
  3. Là même, chap. XVI.
  4. Il viola Tamar, et fut tué pour ce crime par ordre d’Absalom, frère de Tamar de père et de mère. Là même, chap. XIII.
  5. IIe. livre de Samuel, chap. XXIV.
  6. Là même, chap. XI.