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CHARLES-QUINT.

empereur devait craindre que François Ier. ne trouvât beaucoup d’excuses spécieuses de ce qu’après tant d’injures souffertes, il violerait les droits de l’hospitalité ; donc la prudence ne souffrait pas que l’on se fiât à ce monarque. Ils diront tout ce qu’ils voudront, leurs pensées seront en effet plus désobligeantes pour François Ier. que pour Charles-Quint ; et l’on ne peut dire sans flétrir l’honneur de ce roi, qu’il ait mis en délibération dans son conseil s’il ferait prisonnier ou non Charles-Quint. Carmérarius, auteur allemand, ne trouve nulle vraisemblance à cela [1].

(I) Les historiens flamands ont été simples ou malhonnêtes, en rapportant ce qui se passa en cette rencontre. ] La candeur belgique, germanique, etc., des historiens généralement parlant, est une chimère : il n’y a peut-être point de nations où il y ait ni plus de plumes équitables, ni plus d’écrivains passionnés, que dans celles-là. Leur médisance est aussi aigre et pénétrante que celle de delà les monts, et outre cela elle est quelquefois bâtie sur des fables très-grossières. Je ne rapporte point toutes celles qu’ils ont produites touchant le passage de Charles-Quint par la France, je me contente de citer ces paroles d’un annaliste, Français de nation [2] : Nec ullo modo audiendus insipidus quidam belgicus chronologus [* 1] dum scribit, Cæsarem pasquillis quibusdam totam per urbem Lutetiam disseminatis præsentissimum suî periculum cùm vitâsset, pernicissimo cursu primùm Cameracum, hinc Gandavum concessisse. Insulsiora namque sunt ista quàm ab homine mente sobrio proferantur. At sic lubet plerisque Belgis cùm de Francis agitur, fatuari et ineptire, qualia permulta apud Maierum, Massæum, et alios ejus generis homines reperire liceat. Les longues guerres de France avec la maison de Bourgogne avaient tellement aigri les Flamands, que ceux qui ne pouvaient pas exercer des hostilités l’épée à la main, en exerçaient à coups de plume, ou à coups de langue. Or, dans ces diverses sortes de guerre il y a beaucoup de personnes qui se servent également de la maxime, Dolus an virtus, quis in hoste requirat ? Un historien qui ose dire que Charles-Quint, se sauva en poste, et qui ne sait pas ou qui feint de ne savoir pas, que ce prince fut accompagné jusqu’à la frontière par deux fils de France, et reçu par toutes les villes comme le roi même, quelle sorte d’homme doit-il être ?

(K) On lui fait dire un bon mot sur l’ascendant que l’étoile de Henri II prenait sur lui. ] Je vois bien, disait-il, que la fortune ressemble aux femmes, elle préfère les jeunes gens aux vieillards. Strada rapporte en gros cette pensée de Charles-Quint [3] : c’est à tort que Scioppius l’en censure [4] ; et c’est par un esprit de contradiction qu’il doute que cet empereur ait dit cela. Il fait le théologien mal à propos, et il se trompe de croire que ce mot de Charles-Quint donne tout au cas fortuit. Est-ce le hasard aveugle qui fait que les femmes aiment mieux un jeune mari qu’un vieux ? Il n’y a rien de plus opposé à la fortune, que l’affectation quelle qu’elle soit, de favoriser une chose plutôt qu’une autre. Si la maxime de Charles-Quint était vraie, elle prouverait infiniment mieux le dogme de la providence généralement parlant, qu’elle ne prouverait le sentiment opposé. Scioppius a plus de raison lorsqu’il dit que cette maxime se trouve dans Machiavel ; car voici ce que l’on trouve dans le Prince de cet auteur florentin, au chapitre XXV. Io giudico ben questo, che sia meglio essere impetuoso che rispettivo, perche la fortuna è donna, ed è necessario volendola tener sotto, batterla ed urtarla. E si vede che la si lascia più vincere da questi, che da quelli che freddamente procedano. E pero sempre (come donna) è amica de’ giovani, perche son meno rispet-

  1. (*) Locri, hoc an.
  1. Méditat. historiques, vol. III, liv. III, chap. III. Je parle de la traduction française publiée par Simon Goulart.
  2. Spondanus, ad ann. 1540, num. 1.
  3. Quin et vulgò credebatur, Cæsaris fortunam fastidio ac satietate jam captam retrocedere incæpisse : felicemque imperatoris hactenùs invicti genium in Henricum Galliæ regem immigrâsse. Ipso Cæsare non dissimulante, quem auditum ferebant quùm diceret, Nempè Fortunam esse juvenum amicam. Strada, de Bello belg., dec. I, pag. m. 17. Il cite une lettre d’Hippolyte Chizzala, qui est au IIIe. livre des Lettres des Princes, folio m. 212 verso ; il la cite, dis-je, pour la première partie de ce passage.
  4. Iofam. Fam. Strad., pag. m. 36.