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EURIPIDE.

On me dira peut-être qu’Euripide gagna des couronnes dans des combats poétiques. Je répondrai qu’il en gagna peu, et que sa gloire serait très-petite si on la mesurait à cela [1], et qu’en tous cas ce n’est pas ainsi qu’il fallait promettre les triomphes dramatiques. On pouvait donc reprocher à Apollon qu’il s’était trompé, et ne se pas contenter de ce reproche, c’est qu’il donnait l’épithète de sacrées à des couronnes qui ne la méritaient point [2]. Quand donc j’assure dans le texte de cette remarque, que l’oracle fut mal entendu, je ne prétends pas nier que le sens qu’on donna aux termes ne soit le plus naturel ; je prétends seulement dire qu’on se trompa, à cause qu’on n’attrapa point l’intention mal exprimée de celui qui avait parlé. Ce ne fut donc point Mnésarchus qui eut tort de se promettre que son fils deviendrait un grand athlète, ce fut Apollon qui eut tort de le lui prédire. Quoi qu’il en soit, Mnésarchus éleva son fils selon cette vue. Nous allons entendre un auteur qui n’attribue cette promesse qu’à des discours de bonne aventure, qu’à des astrologues, qu’à des Chaldéens en un mot. Patri autem ejus (Euripidis) nato illo responsum est à Chaldæis, eum puerum, quùm adolevisset, victorem in certaminibus fore. Id ei puero fatum esse. Pater interpretatus athletam debere esse, roborato exercitatoque filii sui corpore, Olympiam certaturum eum inter athletas pueros deduxit. Ac primò quidem in certamen per ambiguam ætatem receptus non est. Post Eleusinio et Theseo certamine pugnavit, et coronatus est. Mox, à corporis curâ ad excolendi animi studium transgressus, auditor fuit physici Anaxagoræ et Prodici rhetoris, in morali autem philosophiâ Socratis, tragœdiam scribere natus annos duodeviginti adortus est [3].

(D) Il apprit la morale sous Socrate. ] J’ai cité ceux qui le disent : mais je dois observer ici qu’il y a beaucoup d’apparence qu’ils se trompent ; car Socrate était plus jeune qu’Euripide de près de treize ans. Cette différence d’âge a pu souffrir que quand le plus jeune de ces deux grands hommes eut atteint sa maturité, l’autre liât avec lui une amitié très-étroite, et profitât de sa docte conversation : mais ce n’est pas ce que l’on appelle faire son cours de morale sous un professeur en philosophie, être son écolier, son disciple. Je crois aisément avec M. Barnes, que Socrate profita beaucoup des conversations d’Euripide : Haud benè temporum rationes considerârunt, dit-il [4], qui Socratem Euripidis in Moralibus magistrum affirmant, ipso nempè discipulo duodecim ferè annis juniorem. Videtur potiùs is ex Euripide multa hausisse, quem et apud Platonem haud rarò laudure deprehenditur. Je ne voudrais pas révoquer en doute ce qu’on lit dans Diogène Laërce [5] que Socrate aidait Euripide à composer ses tragédies ; et, cela posé, je ne serais pas surpris que Socrate n’allât presque jamais à la comédie que quand on jouait quelque pièce d Euripide. Ὅ δὲ Σωκράτης σπάνιον μὲν ἐπεϕοίτα τοῖς θεάτροις, εἴ ποτε δὲ Εὐριπίδης ὁ τῆς τραγῳδίας ποιητὴς ἠγωνίζετο καινοῖς τραγῳδοῖς, τότε γε ἀϕικνεῖτο. Καὶ Πειραιοῖ δὲ ἀγωνιζομένου τοῦ Εὐριπίδου καὶ ἐκεῖ κατῄει· ἔχαιρε γὰρ τῷ ἀνδρὶ, δηλονότι διά τε τὴν σοϕίαν αὐτοῦ, καὶ τὴν ἐν τοῖς μέτροῖς ἀρετήν. Socrates verò rarò veniebat in theatra, nisi quandò Euripides tragicus poëta cum novis tragœdiis certaret : tùm enim accedere solebat. Et tunc quoque, cùm Euripides in Piræo contenderet, eò descendebat. Nam amabat hominem ; tùm propter sapientiam, tùm propter carminum virtutem et bonitatem [6]. Je n’en serais pas même surpris, quoique je fusse persuadé que le philosophe n’avait nulle part aux productions du poëte ; car les tragédies d’Euripide contenaient tant de belles moralités, qu’elles étaient infiniment propres à plaire à Socrate. On a nommé Euripide le philosophe du théâtre, σκηνικὸς ϕιλόσοϕος [7] ὁ ἐπὶ τῆς σκηνῆς ϕιλόσοϕος

  1. Voyez la remarque (I).
  2. C’est sur cela qu’Œnomaüs a fait rouler sa critique, apud Eusebium, Præparat. Evangel., lib. V, cap. XXXIII, pag. 228.
  3. Aulus Gellius, lib. XV, cap. XX.
  4. Barnes, in Vitâ Euripidis, num. 13, sub finem.
  5. Lib. II, in Socrate, init.
  6. Ælian. Var., Hist., lib. II, cap. XIII.
  7. Origenes contra Celsum, lib. IV, pag. 214. Voyez la remarque suivante.