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EURIPIDE.

dit en un même jour sa femme, deux fils et une fille, et nous renvoie à la page 60, où l’on ne trouve rien de semblable ; mais on trouve à la page 61, qu’Euripide allant à Icare, fit une épigramme sur le désastre qui était avenu chez un paysan. Une femme y était morte avec deux fils et une fille, pour avoir mangé des champignons. Jugez à quoi l’on s’expose quand on se fixe aux faiseurs des tables alphabétiques. Si l’on s’en rapportait à Athénée, l’on n’aurait pas bonne opinion de la chasteté d’Euripide. Il assure que ce poëte aimait fort les femmes [1], et que Sophocle entendant dire à quelqu’un qu’Euripide les haïssait furieusement : dans les tragédies, répondit-il, j’en tombe d’accord ; mais au lit il les aime passionnément. Ἱερώνυμος γοῦν ἐν ἱςορικοῖς ὑπομνήμασι ϕησί οὕτως, εἰπόντος Σοφοκλεῖ τινὸς ὅτι μισογύνης ἐςὶν Εὐριπίδης, ἔνγε ταῖς τραγῳδίαις, ἔϕη ὁ Σοϕοκλῆς ἐπεὶ, ἔνγε τῇ κλίνῃ ϕιλογύνης. Hieronyinus in historicis commentariis scribit, cùm Sophocli diceret quidam Euripidem fœminas aversari, eum respondisse, in tragœdiis quidem, at in cubili esse illarum amantissimum [2]. Stobée [3] rapporte la même chose, et l’emprunte des livres de Serin. Voyez la remarque (R). J’ai cité l’endroit d’Aulu-Gelle qui nous apprend qu’Euripide avait deux femmes tout à la fois. C’est le chapitre XX du XVe. livre.

(N) Archélaüs éleva Euripide à de grands honneurs. ] Il le fit premier ministre d’état, si nous en croyons Solin. Hic Archelaüs in tantum litterarum miré amator fuit, ut Euripidi tragico consiliorum summam concrederet : cujus suprema non contentus prosequi sumptu funeris, crines tonsus est, et mœrorem quem animo conceperat vultu publicavit [4]. Thomas Magister ne s’éloigne pas de cela, quoiqu’il n’ait rien spécifié. Ab illo (Archelao) honestissimè susceptus est, honoribusque auctus ad summam dignitatem pervenit [5]. Peut-on voir une marque plus expresse d’une grande considération, que ce que fit Archélaüs contre un homme qui avait choqué Euripide ? Cet homme avait nom Décamnichus : il offensa un jour ce poëte, en le traitant de punais. Le poëte ne demeura point sans repartie, et donna à ce défaut de son haleine une cause glorieuse, je veux dire la fidélité avec laquelle il avait gardé des secrets qu’on lui avait confiés. Εὐριπίδης ὀνειδίζοντος αὐτῷ τίνος, ὅτι τὸ ςόμα δυσῶδες ἦν, πολλὰ γὰρ, εἶπεν, αὐτῷ ἀπόῤῥητα ἐγκατεσάπη. Euripides quùm oris graveolentia illi à quodam objiceretur, multa enim, dixit, secreta in eo computruerunt [6]. Archélaüs, ne le trouvant pas assez vengé par cette réponse, lui livra Décamnichus, afin que l’offense fût expiée par de bons coups d’étrivière. On prétend qu’Euripide se servit de la permission du prince, et l’on n’en saurait douter, si l’on veut croire le témoignage d’Aristote, car voici comme il parle : Τῆς Ἀρχελάου δ᾽ ἐπιθέσεως Δεκάμνιχος ἡγεμὼν ἐγένετο παροξύνων τοὺς ἐπιθεμένους πρῶτος. Ἄιτιον δὲ τῆς ὀργῆς ὅτι, αὐτὸν ἐξέδωκε μαςιγῶσαι Εὐριπίδῃ τῷ ποιητῇ· ὁ δ᾽ Εὐριπίδης ἐχαλέπαινεν εἰπόντος τι αὐτοῦ εἰς δυσωδίαν τοῦ ςόματος : c’est-à-dire, Décamnichus fut le chef de l’entreprise formée contre Archélaüs, car il fut le premier qui excita, et qui irrita ceux qui tuèrent ce prince. La cause de sa colère fut qu’Archélaüs l’avait livré à Euripide pour être fouetté ; et la cause de la colère d’Euripide était que Décamnichus lui avait dit quelque chose sur l’odeur désagréable de son haleine [7]. M. Barnes ne veut point qu’on ajoute foi à Aristote : sa raison est qu’Archélaüs ne fut tué que six ans aprés la mort d’Euripide [8]. Cette raison ne me persuade pas ; et il est aisé de comprendre que la mort du poëte n’a pas dû éteindre le ressentiment de Décamnichus contre le roi. Supposez tant qu’il vous plaira, encore qu’Aristote ne le dise pas, que Décamnichus fit périr le pauvre Éuripide, cela n’empêchera point qu’il ne soit très-vraisemblable que

  1. Φιλογύνης δ᾽ ἦν καὶ Εὐριπίδης ὸ ποιητής. Fuit et mulierosus Euripides. Athen., lib. XIII, pag. 557. Voyez aussi pag. 603.
  2. Athen., lib. XIII, pag. 557.
  3. Sermone de Intemperantiâ.
  4. Solin., cap. IX, pag. m. 26.
  5. Thom. Magister, in Vitâ Eurip.
  6. Stobæus, serm. XXXIX, περὶ ἀποῤῥήτων.
  7. Aristot., lib. V de Republicâ, cap. X, pag. m. 305, F.
  8. Barnes., in Vitâ Euripidis, num. 30, sub fin.