Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T06.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
75
DÜRER.

d’Ève, s’écria, vous êtes plus beaux que lorsque je vous chassai du jardin d’Eden.

Angelus hos cernens, miratus dixit : ab horto
Non ita formosos vos ego depuleram.


M. Bullart, de qui j’emprunte ces choses [1], ajoute [2], 1°. Qu’on voit encore en ce même palais, du pinceau d’Albert, un Christ portant sa croix, dont la ville de Nuremberg fit présent à l’empereur ; une adoration des mages, et deux pièces de la Passion ; 2°. Qu’il fit pour un monastère, àa Francfort, une Assomption dont la beauté valait un bon revenu aux religieux, par les libéralités qu’on leur faisait pour jouir d’une si rare vue ; 3°. Que ceux de Nuremberg conservent avec soin dans la salle des sénateurs, ses portraits de Charlemagne et de quelques empereurs de la maison d’Autriche ; avec les douze apôtres, dont les draperies sont fort agréables ; 4°. Qu’il envoya à Raphaël son portrait fait par soi-même sur toile, sans aucun coloris ; ni trait de pinceau, rehaussé seulement d’ombre et de blanc ; mais avec tant de force et de netteté, que Raphaël vit avec admiration ce rare ouvrage, qui étant passé depuis en la possession de Jule Romain, a été placé parmi les raretés du palais de Mantoue.

(D) Son saint Eustache est une de ses meilleures pièces. ] Voyons ce que le Vasari en a dit. Ed appresso un san Eustachio inginocchiato dinanzi al cervo, che hà il crocifisso frà le corna, la qual carta è mirabile, e massimamente per la bellezza d’alcuni cani in varie attitudini, che non possone essere più belli [3]. Jean-Valentin André, docteur en théologie au duché de Wirtemberg, envoya un exemplaire de cet ouvrage à un prince de la maison de Brunswick, avec lequel il eut l’honneur d’entretenir un long commerce de lettres. Voici le remercîment qu’on lui fit de ce présent. Beâsti me iteràm novo muncre, sculpturâ magis quàm æneâ, insignis illius pictoris Norici, quod litterâ A. D. ad basin initiali incarceratâ innuit, cui facilè nihil deesse crederem, nisi ut Zeuxis aut Parrhasins, aut alius aliquis, cui æquè prona favet Minerva, colores adderet, et nativam formam [4]. Rapportons aussi les louanges que le même docteur en théologie donna à Durer, en répondant à la lettre de ce prince. Eustachium Dureri, si non à meâ, certè summi artificis manu non ingratum Tibi fore, facilè divinare potui, in quo viro illud mirandum est, quod ex rudi et barbaro seculo primus Germanorum, non tantùm artis suæ perfectione, ad naturæ imitationem emerserit, sed nec secundum post se reliquerit, omnibus ejus partibus, scalpturâ, sculpturâ, statuariâ, architectonicâ, opticâ, symmetriâ, et similibus ita absolutis, ut nisi Mich. Angelum Bonarotum, Italum, coævum et æmulum suum, parem, non habuerit, iis operibus, (quorum maximam partem olim possedi) post se relictis, quæ unius hominis ætatem facilè superent, et paupertate in frugali etiam vitâ, perpetuâ comite. Hunc Itali hodiè plurimi faciunt, nobisque succensent, qui domestica nostra bona et ornamenta non agnoscamus [5]. N’oublions pas le soin que prit l’empereur Rodolphe II de faire dorer la planche de ce saint Eustache, et nous verrons en même temps que Durer y corrigea une faute dont Pirkheimer l’avait averti ; c’est que les étriers du cheval étaient trop courts. Dureriamâ manu te apprimè delectari crediderim, ce sont les paroles de Jean-Valentin André [6], cùm pro accurato judicio discernas, quantum hic unus omnibus aliis artificio, diligentiè, et naturæ æmulatione antecellat. Ex omnibus verò ejus speciminibus Eustachium in cælaturâ primas tenere, à peritis rerum accepi, cujus cupream laminam cùm imperator Rudolphus II fel. mem. magno redemisset, inaurari voluit, ne ampliùs attereretur. Memini tamen legisse, à Bilibaldo Pirkheimero, viro nobili, et in repub. Noribergensi triumvoi clarrissimo Dureri Mecenate, et Nutricio

  1. Bullart, Académ. des sciences, tom. II, pag. 384.
  2. Là même.
  3. Vasari, Vite de’ Pittori, parte III, pag. 303.
  4. Voyez le livre intitulé Seneliana Augustalia, imprimé à Ulm. Ce que j’en tire est à la page 201, dans une lettre datée du 10 de novembre 1646.
  5. Ibidem, pag. 203.
  6. Ibidem, pag. 308.