Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T08.djvu/11

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Évremont [* 1].... Cet homme a donné tout de son long dans le piége tendu par le compilateur. Il attaque cette lettre de consolation à Olympe par le style, par les pensées, par les sentimens, et il emploie le quart de son livre à cette belle répréhension. » Voilà ce que j’ai trouvé dans un recueil de remarques qu’un jeune avocat au parlement de Paris, m’a fait la faveur de m’envoyer, l’an 1698, et qui me convainquent qu’il a de l’esprit infiniment, et une exacte connaissance de beaucoup de faits curieux, et très-propres à ce Dictionnaire [1] [* 2].

(C) Il avait composé trois différens systèmes de la mortalité de l’âme. ] Donnons encore un morceau de ce recueil de remarques dont je viens de faire mention. « Hénault dit, dans son épître dédicatoire, vous savez que je suis un homme tout intérieur ; que je ne me félicite guère de l’opinion d’autrui ; que mes maximes ou mes erreurs sont assez différentes de celles du reste du monde. Il commence à découvrir par-là ce qu’il était. Plusieurs de ses vers sont des imitations des chœurs de Sénèque, entre autres de l’acte II de la Troade, où la mortalité de l’âme est établie : cette matière était son goût.

» Comme se perd en un moment
» Cette portion d’air dans les corps enfermée,
» Que le plus actif élément
» Développe et pousse en fumée ;
» Comme au souffle des aquilons
» On voit bientôt évanouie
» Une grosse nuée ou de grêle ou de pluie,
» Qui d’un déluge affreux menace les vallons ;
» Ainsi s’épand cette âme vaine
» Qui meut tous les ressorts de la machine humaine.
» Tout meurt en nous quand nous mourons :
» La mort ne laisse rien, et n’est rien elle-même ;
» Du peu de temps que nous durons
» Ce n’est que le moment extrême, etc.


» Je suis surpris que cela ait été imprimé avec privilége. Cet homme avait le cœur tendre ; il disait à sa maîtresse :

» Sappho fit des vers comme vous,
» Faites l’amour comme elle.


» Il veut qu’elle renonce à la gloire.

» Pour moi, je ne suis point la dupe de la gloire ;
» Je vous quitte ma place au temple de mémoire,
» Et je ne conçois point que la loi du trépas
» Doive épargner mon nom et ne m’épargner pas.
» Je me mets au-dessus de cette erreur commune ;
» On meurt, et sans ressource et sans réserve aucune
» S’il est après ma mort quelque reste de moi,
» Ce reste un peu plus tard suivra la même loi,
» Fera place à son tour à de nouvelles choses
» Et se replongera sans le sein de ses causes.


» Ce n’est point là une traduction, c’est un original, et c’est ainsi que cet homme mettait dans ses ouvrages les semences de ses erreurs. Dans les deux pièces qu’on a mises dans le Furetieriana vous trouverez aussi ces mêmes opinions qu’il tâchait de fourrer partout. Aux impiétés il ajoutait des impuretés assez grossières. Il s’en trouve dans une pièce intitulée, le bail d’un cœur à Cloris, qui est dans ce recueil ; et assurément cette Cloris-là pouvait bien être une Janneton de La Fontaine [* 3]. Ces vers sont plus

  1. (*) Dissertation sur les ouvrages de Saint-Évremont, 1698, in-12, à Paris, par le sieur Dumont. C’est un masque : on l’attribue à M. Cotolendi, auteur de l’Arlequiniana ; quelques-uns croient que M. Érard, fameux avocat, n’y a pas peu de part.
  2. (*) M. Bayle ne rapporte pas dans cette remarque les vers suivans, qui sont dans ses Œuvres diverses, etc.

    E Senecæ Thieste, actus II, Chorus.

    Illi mors gravis incubat,
    Qui notus nimis omnibus,
    Ignotus moritur sibi.

    IMITATION.

    Heureux est l’inconnu qui s’est bien su connaître ;
    Il ne voit pas de mal à mourir plus qu’à naître ;
    Il s’en va comme il est venu :
    Mais, hélas ! que la mort fait une horreur extrême
    À qui meurt de tous trop connu,
    Et trop peu connu de soi-même !
    Rem. crit.

  3. (*)

    Mais les gens de delà les monts
    Auront bientôt pleuré cet homme,
    Car il défend les Jannetons,
    Chose très-nécessaire à Rome.

    La Fontaine, Œuvres posthumes, en parlant d’Innocent XI.

    Quand l’objet en mon cœur a place,
    Et qu’à mes yeux il est joli,
    Dono nomen quod libet illi.

    Idem, ibidem. [Ce latin doit faire un vers de même mesure que les deux précédens qui ne sont que de six syllabes. Lisez donc, do nomen, dans les Œuvres posthumes de la Fontaine. Rem. crit.

  1. Voyez, tom. VII, pag. 395, la fin de la remarque (Q) de l’article du troisième duc de Guise. [Cet avocat est Marais. Voyez aussi la lettre que lui écrivait Bayle, sous la date du 2 octobre 1698.]