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HENRI II.

qui non-seulement s’empara du marquisat de Saluces, mais aussi forma des conspirations qui avaient pour but le démembrement de la France, et la ruine totale de la monarchie [1]. Peut-on donc assez blâmer la bévue de Henri III ? Voyez la remarque (F) de son article.

(K) Ses favoris acquirent de grands biens par des voies....... injustes. ] De peur qu’on ne m’accuse d’outrer les choses, je me servirai des termes de Mézerai. « Les dépenses que lui firent faire ceux qui disposaient de sa faveur et de ses affaires, et dont ils convertirent une bonne partie à leur profit, furent si excessives, qu’il surchargea le royaume de grands impôts, et s’endetta de plus de quarante millions de livres. Avec cela ils ruinèrent encore quantité de familles par une damnable convoitise. C’est que l’invention des partis et des monopoles n’étant pas alors si en usage, ils se servirent d’une autre non moins pernicieuse, savoir, de dénoncer les plus riches sous prétexte d’hérésie et autres crimes, et de rechercher ou de faire des coupables, afin d’en avoir les dépouilles, où de les contraindre d’acheter leur grâce par leur intercession [2]. » Cet historien venait de dire que Henri II n’est accusé d’autre défaut que d’avoir eu l’esprit trop facile, et plus capable d’être gouverné que de gouverner lui-même. C’est un des plus grands défauts d’un roi, parce qu’ordinairement ceux qui le gouvernent, quand il est en cet état, font plus de maux qu’il n’en ferait s’il les gouvernait.

(L) Il se comporta d’une manière peu convenable à sa dignité, et plus séante à un jeune cavalier qu’à la majesté royale. ] C’est ainsi qu’en jugèrent les personnes sages, comme nous l’apprend un auteur de ce temps-là [3]. « L’on a ouvert le pas à un tournoy en la ruë Sainct-Antoine, devant les Tournelles, avec toutes les magnificences et parades dont l’on s’est peu adviser : et ce pour autant que le roy estoit l’un des tenans, suivy de MM. de Ferrare, de Guise et de Nemoux. Ce que plusieurs personnes de bon cerveau trouvoyent estrange : disans que la majesté d’un roy estoit pour estre juge des coups, et non d’entrer sur les rangs. Mesme que dans les vieux romans les roys en tels estours n’avoyent appris de faire actes de simples chevaliers, ains ou se desguisoyent, s’ils avoyent envie d’entrer en la lice, ou bien du tout s’en abstenoyent. Toutesfois telle a esté la mesadventure du roy, qu’il a voulu avoir le premier honneur de la jouste. Et croy que le desir qui lui en prit, fut pour faire paroistre aux estrangers combien il estoit adextre aux armes et duit à bien manier un cheval. De sorte que ceux qui estoyent pres de luy ne l’oserent destourner de ceste entreprise. Chose qui a depuis apporté un miserable spectacle à la France. »

(M) On fit bien des réflexions sur cette triste destinée. ] Je ne veux point alléguer le témoignage des écrivains protestans : chacun voit que celui d’Étienne Pasquier aura plus de force [4]. « Voilà comment nostre bon roy Henry est decedé. Et comme le commun peuple a naturellement l’œil fiché sur les actions de son roy, aussi ne s’est pas trouvée ceste mort sans recevoir quelques commentaires et interpretations de quelques-uns. Car pour vous compter tout au long comme les choses se sont passées en ceste France, soudain que la paix fust faite, M. le cardinal de Lorraine, qui en avoit esté l’un des premiers entremetteurs, declara en plein parlement, que l’opinion du roy avoit esté de la faire à quelque prix et condition que ce fust, pour de là en avant vacquer plus à son aise à l’extermination et bannissement de l’heresie de Calvin. Et de faict le dixiesme jour de juin il se transporta en personne au milieu de son parlement, pour tirer de chaque conseiller son advis sur la punition des heretiques. Surquoy fut par plusieurs opiné assez librement ; quelques-uns estans d’advis d’en faire sursoir la punition jusques à la deci-

  1. Voyez l’article Gontaut (Charles), rem. (D), tom. VII, pag. 131.
  2. Histoire de France, tom. II, pag. 1138.
  3. Pasquier, Lettres, liv. IV, tom. I, pag. 172, 173.
  4. Là même, pag. 174, 175.