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HOTMAN.

tain que Théodore de Bèze eut besoin des bons offices de Calvin pour obtenir cette profession. Peut-on procurer à un autre une chaire de professeur dans une ville où l’on n’est pas, et où l’on ne se peut établir soi-même que par le crédit d’autrui ? M. Teissier a cru sans doute que Bèze professait le grec à Lausanne avant qu’Hotman y fût appelé. Jugez combien il est important pour la narration de cette sorte de petits faits de consulter bien les dates, et les rubriques de la chronologie.

(D) Étant retourné à Strasbourg il se laissa persuader par Jean de Monluc d’aller enseigner le droit à Valence. ] Si M. de Thou avait consulté les dates, il n’aurait pas dit que Jean de Monluc tira Hotman de Lausanne pour l’établir à Valence : Lausanæ primùm docuit, inde à Joanne Monlucio Valentiæ episcopo, et posteà à Margaritâ Biturigum duce evocatus repetitis vicibus Valentiæ et Avarici Biturigum ubi eum aliquando audivi, evocatus, etc.[1]. Ces paroles repetitis vicibus n’ont pas été entendues par le traducteur français : il a cru qu’elles voulaient dire qu’Hotman enseigna la jurisprudence tour à tour, tantôt à Valence et tantôt à Bourges[2]. Ce n’est point cela ; il n’enseigna plus à Valence depuis qu’il en fut une fois sorti. Il fallait donc dire que la duchesse de Berri l’attira deux fois à Bourges, comme on l’a pu voir dans le corps de cet article. Ceux qui voient dans la vie de François Hotman la suite de ses déménagemens d’une ville à l’autre, ne feront guère de cas des mémoires qui furent fournis à M. de Thou, puisqu’il dit qu’après le massacre de l’an 1572, Hotman s’en alla à Montbéliard et de là à Bâle. Il fallait dire qu’il s’en alla à Genève et de là à Bâle, et puis à Montbéliard, ensuite à Genève et enfin à Bâle.

(E) Il publia à Genève[3] des livres si forts contre les persécuteurs, qu’on lui fit faire de grandes promesses… ; mais il n’écouta point ces propositions. ] Voici ce qu’en dit l’auteur de sa Vie[4]. « Ad Allobroges igitur iterùm tanquam in portum se refert, scriptisque aliquot eruditis contra fidem immô per fidem ipsam cæsorum innocentiam constanter tuetur : et quidem adeò efficaciter, ut qui mollem putabant futurum ejus in tantâ calamitate animum, prolixis pollicitationibus hortarentur ab istiusmodi scriptionis genere abstineret : quibus ille hoc tantùm reposuit, Nunquàm sibi propugnatam causam quæ iniqua esset : nunquàm quæ jure et legibus niteretur, desertam præmiorum spe vel metu periculi ; opprimi enim in bonâ causâ melius quàm malè cedere. Non modò non excusandum parricidium, ultro etiam defendendam causam innocentium. » Un peu après il parle du livre de Regni Galliæ statu, qu’Hotman mit en lumière vers ce temps-là sous le titre de Franco-Gallia. C’est un ouvrage recommandable du côté de l’érudition, mais très-indigne d’un jurisconsulte français, si l‘on en croit même plusieurs protestans. Voici ce qu’en dit M. Teissier : son livre intitulé Franco-Gallia lui attira avec raison le blâme des bons Français. Car dans cet ouvrage, il tâche de prouver[5] que ce royaume, le plus florissant de la chrétienté, n’est point successif, comme sont les héritages des particuliers, et qu’autrefois on ne venait à la couronne que par les suffrages de la noblesse et du peuple : si bien que comme anciennement le pouvoir et l’autorité d’élire les rois appartenaient aux états du royaume, et à toute la nation assemblée en corps, aussi étaient-ce les états qui les déposaient du gouvernement. Et là-dessus, il apporte les exemples de Philippe de Valois, de Jean, de Charles V, de Charles VI et de Louis XI. Mais sur quoi il insiste principalement, c’est de montrer que comme de tout temps on a jugé que les femmes étaient incapables de la royauté, on doit aussi les ex-

  1. Thuan., lib. XCIX, pag. 378, ad ann. 1590.
  2. Voyez les Éloges tirés de M. de Thou par M. Teissier, tom. II, pag. 136, édition de 1696.
  3. Mézerai a tort de dire dans sa grande Histoire, tom. III, pag. 293, que François Hotman était fugitif au Palatinat lorsqu’il publia la Franco-Gallia.
  4. Pag. 221.
  5. Ceci n’est que la version du latin de M. de Thou, lib. LVII, pag. 49, ad annum 1573.