Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T08.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
339
JARRIGE.

qu’il avait dessein de mettre au jour. Il mourut avant que de le faire : son manuscrit fut publié quelque temps après par Polycarpe Lysérus [1]. C’est une pièce très-forte contre les jésuites [2], et, à tout prendre, plus choquante que les livres de Jarrige, quoique peut-être on n’y voie pas tant d’aventures particulières. Cet ouvrage fut reçu avec de grands applaudissemens. Les jésuites le firent réfuter par Jacques Gretsérus ; ce qui donna lieu à plusieurs ouvrages pour et contre.

J’ai dit que peut-être Hasenmullérus ne débite pas autant d’aventures que Jarrige ; mais il est certain que, dans le chapitre du vœu de chasteté, il en débite de fort honteuses ; et sans doute afin de faire condamner davantage les impuretés dont il accuse les jésuites, il a étalé plusieurs précautions dont il dit qu’ils se fortifient contre ce péché. Il dit qu’ils se servent d’alimens qui mortifient et qui énervent la chair ; et qu’ils ordonnent les veilles, les jeûnes, les coups de fouet, les cilices, à ceux qui confessent leurs tentations. In cibis et potu variis utuntur herbis et pharmacis, quibus naturæ vin enervant, et sobolem, ut ita dicam, intra viscera propria occidunt μισάνθρωποι, et à Deo ordinatæ humanæ propagationis hostes. Si qui fratres in confessionibus conqueruntur de carnis infirmitate, flammis atque ustione, eam ut extinguant ordinant illis vigilias, jejunia, cilicia, et flagella quibus carnem suam doment, castigent, et in servitutem, ut loquuntur, spiritus redigant [3]. Il ajoute qu’il y en a qui s’étudient à exciter et à fomenter dans leur âme une grande haine pour le sexe. Nonnullos vidi qui nihil voluerunt edere, quòd à muliere coctum sciebant. Alios dicentes audivi, quoties de fœminâ cogilo, toties stomachus meus et bilis commoventur et conturbantur. Alius dicebat, tædet pudetque me quòd à muliere sum in hanc lucem editus ; dignus certè cui vacca fuisset genitrix. Alii nihil prorsùs boni in totâ mulieris substantiâ esse dicunt, sique ex illis quidam cæteros in harum calumniarum palæstrâ vincere conantur, illi ad mentionem mulieris expuunt, et in tabulâ maledicos, et in sexum fœmineum contumeliosos Mantuani versus (quos tamen is non nisi de malis cecinit) descriptos ob oculos ponunt, ut sic in seipsis majus in mulieres odium excitent [4]. On voit par-là que toutes sortes d’extravagances peuvent se fourrer dans l’âme, sous les auspices de la fausse dévotion ; car que peut-on voir de plus absurde, et de plus digne d’un lunatique, que les discours de ces gens-là ? Mon estomac se soulève, disent-ils, et ma bile s’émeut toutes les fois que je pense à une femme ; je suis fâché, et j’ai honte de devoir ma naissance à une femme ; je crache quand j’entends parler d’une femme. Je n’ai point trouvé dans Hasenmullérus le passage qu’un auteur moderne à cité [5] : il prétend y avoir lu qu’un ouvrier qui travaillait chez les jésuites, encore qu’on lui donnât bien et à manger et à boire, ne pouvait néanmoins caresser sa femme ; et cependant lorsqu’il travaillait chez d’autres gens, il faisait très-bien son devoir nocturne, n’eût-il bu que de l’eau : c’est pourquoi sa femme ne voulut plus qu’il travaillât chez les jésuites ; et ensuite le magistrat de Landsberg [6] ne permit plus que l’on achetât de leur bière. Si elle avait cette mauvaise qualité, les magistrats furent louables de l’interdire aux séculiers ; car le devoir conjugal est un cas tellement privilégié, qu’il y a plusieurs casuistes qui lui soumettent les lois de l’église.

  1. À Francfort, l’an 1503, in-4°.
  2. Hasenmullerus qui fuit jesuita, et scripsit Triumphum papalem, habet multa bona. Scaliger, in Scaligeranis posterioribus, pag. m. 105. Il n’est pas vrai qu’il soit l’auteur du Triumphus papalis, qui est imprimé au-devant de son Historia Jesuitici ordinis : c’est Maximilien Philon qui en est l’auteur. On a fait dans le Catalogue d’Oxford la faute de Scaliger.
  3. Hasenmullerus, Historia ordinis Jesuitici, pag. 127, edit. Francof., 1605.
  4. Ibid., pag. 131.
  5. L’auteur du Polygamia triumphatrix. Voici ce qu’on trouve, pag. 130. Hasenm., Historia Jes., c. 6, pag. 99, ubi jocosam, sed tamen veram historiam narrat de opifice quodam, qui apud jesuitas laborans, comedens et bibens, uxori benevolentiam debitam non potuit reddere, sed apud alios vel aqua bibens virum se valuit præstare, eamque ob causam non voluit, ut ampliùs jesuitis inserviret, uti et posteà Landsbergenses prohibuerint in Favariâ, ne ampliùs cerevisiam apud jesuitas emerent.
  6. Ville de Bavière.