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HENRI III.

vent convaincus de polygamie ; parce que l’on suppose que c’est une loi du royaume. On demande où se trouve cette loi ? C’est à nos jurisconsultes français à nous l’apprendre. La conséquence en mérite bien la peine. Pour moi, je crois que ce n’est point pour la polygamie qu’on envoie ces gens-là au gibet ; mais pour les fourberies dont ils usent pour surprendre des femmes qu’ils épousent de mauvaise foi [1]. »

  1. Vigneul Marville, Mélanges d’Histoire et de Littérature, pag. 175.

HENRI III, roi de France, fils de Henri II et de Catherine de Médicis, s’était rendu si célèbre avant qu’il fût roi, et avant l’âge de vingt ans, que les Polonais le jugèrent digne de leur couronne ; mais ils eurent bientôt sujet de se repentir de cette élection. La manière dont il s’enfuit de Cracovie est la chose du monde la plus honteuse. La raison de cette fuite est qu’il voulait recueillir en France la succession de Charles IX. Il régna effectivement après lui, et de telle sorte que les Polonais n’eurent pas lieu de le regretter. On peut dire de lui comme de Galba, qu’il eût paru digne de la couronne s’il ne l’eût jamais portée (A). Sa vie fut tellement partagée entre les débauches et les dévotions, qu’on ne vit jamais un mélange plus bizarre. Il se laissait posséder par ses mignons avec si peu de ménagement, que toute la France en était choquée ; vu surtout que les dépenses excessives qu’il faisait pour eux (B) tournaient à la charge du pauvre peuple. Il encourut la haine des dames, et cela lui fut fort préjudiciable (C). La duchesse de Montpensier se vengea terriblement de quelque chose qu’il avait dit d’elle (D). Le duc de Guise devenant par cet amas de circonstances et par les troubles de religion, beaucoup plus hardi qu’il ne l’eût été à se préparer le chemin du trône, éprouva que les princes les plus faibles sont enfin capables d’une vigoureuse résolution. Il fut massacré par les ordres de Henri III. J’ai parlé ailleurs [a] des suites de cette affaire ; mais je n’ai pas dit que sans le secours des protestans ce monarque aurait été opprimé à Tours, où les ligueux l’attaquèrent [b], quelques mois après qu’il eut fait tuer le duc et le cardinal de Guise. S’étant tiré de cet embarras, il alla mettre le siége devant Paris et sans doute il eût mis bientôt à la raison cette ville séditieuse, s’il n’eût été assassiné par le jacobin Jacques Clément. Il mourut le 2 d’août 1589, qui était le lendemain de sa blessure [c]. J’ai dit ailleurs [d] qu’on l’a blâmé avec raison d’avoir cédé quelques villes au duc de Savoie, qui l’avait accompagné jusqu’au pont de Beauvoisin au mois de septembre 1574 (E). Il eut sujet de se repentir de cette cession ; car elle encouragea le fils de ce duc à former des entreprises contre la France (F).

Il n’y a eu guère de princes dont l’étoile ait été aussi capricieuse que celle de Henri III. La bizarrerie de sa fortune lui

  1. Dans l’article Guise (Henri), tome VII, pag. 380.
  2. Au mois de mai 1589.
  3. Mézerai, Abrégé chronolog., tom. V, pag. 355.
  4. Dans l’article Henri II, pag. 16 de ce volume, à la remarque (G).