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HENRI III.

et de se venger cruellement d’eux, ce qu’il protestoit ordinairement en ses plus privés discours, où chacun avoit droit d’arbitrer de la peine qu’on leur pouvoit imposer, et il a esté prevenu en ses barbares desseins d’un simple religieux de l’ordre des freres prescheurs, qui adjoute l’effet d’une punition divine laquelle les autres luy avoient prédite. Ces choses, très-saint pere, sont à mon avis de telle conséquence que vostre sainteté les jugera dignes de considération. Au surplus, il est notoire que le fait ne vient point des hommes. C’est un très-grand appareil à nos maux que Dieu y a appliqué par le ministere de vostre sainteté. Et il faut espérer que par sa bonne intervention, il y ajoutera la guerison entiere, à l’effet de quoy je luy feray très-humbles requestes et supplications dont j’ay charge tant de M. de Mayenne que desdits sieurs du conseil général, lesquels elle honorera tant s’il luy plaist que de les recevoir de bonne part. »

Non-seulement cette pièce fournit des preuves invincibles contre tous ceux qui voudraient nier que Jacques Clément ait commis l’assassinat, mais aussi contre tous ceux qui entreprennent de disculper ses confrères les jacobins de Paris. M. Varillas s’est érigé en rapporteur des raisons de ces mauvais apologistes [1], et n’a rien dit pour les réfuter. Il étale d’abord ce que l’on allègue pour la justification des jacobins en général, et puis voici comme il parle [2] : Mais un particulier d’entre eux, qui était le père Bernard Guyart, a fait imprimer un livre à la tête duquel il n’a pas osé mettre son nom. Il y prétend justifier l’ordre de Saint-Dominique du meurtre de Henri III. Le mais qui est au commencement de la période, prépare tous les lecteurs à l’apologie particulière de Jacques Clément, personne ne se peut imaginer que Bernard Guyart ait entrepris autre chose, et néanmoins M. Varillas ne parle que de la justification générale de l’ordre de Saint-Dominique. Que les grammairiens fassent le procès à l’historien qui place si mal les particules qu’ils nomment adversatives : je leur laisse cette fonction, et je me contente de cet autre point de censure. Le traité qui a pour titre, La Fatalité de Saint-Cloud, est sans doute le même ouvrage qui, selon M. Varillas, fut publié par Bernard Guyart : or le but principal de ce traité-là est de montrer que Jacques Clément ne tua point Henri III. M. Varillas a donc grand tort de ne faire pas considérer cet ouvrage sous cette idée-là, mais sous l’idée d’une apologie générale des dominicains. Cette faute me paraît plus excusable que celle de n’avoir point dit que le livre de la Fatalité de Saint-Cloud ne doit empêcher personne de s’en tenir à l’opinion générale. M. Maimbourg a fait son devoir quand il a dit que, nonobstant ce livre-là, il faut reconnaître Jacques Clément coupable du parricide, et qu’il vaut mieux en tomber d’accord de bonne foi, avec la voix publique, de quelque profession que l’on soit [3]. Il n’est pas si raisonnable dans ce qu’il ajoute. Vu principalement, dit-il, que l’honneur des jacobins n’en souffre nullement. Car enfin les fautes sont personnelles ; et il n’y a point d’homme de bon sens qui s’avise jamais de reprocher le crime d’un particulier à un ordre aussi saint...... que celui de Saint-Dominique. C’est un discours sans solidité : le crime de Jacques Clément n’est pas une faute personnelle ; c’est le crime du couvent des jacobins de Paris. Ils surent son dessein [4], ils ne l’en détournèrent pas, ils en approuvèrent l’exécution. Son prieur fut puni de mort, bien convaincu par plusieurs témoins d’avoir fait en chaire l’éloge de cet assassin [5] ; et comme la ville de Paris et les prédicateurs principalement donnèrent mille bénédictions et mille louanges au moine qui avait tué le roi, et que toutes les autres villes du royaume qui étaient dans le parti de la ligue, et le pape même [6], louèrent cette infâme

  1. Varillas, Histoire de Henri III, liv. XI, pag. 252, édition de Hollande.
  2. Là même, pag. 253.
  3. Maimbourg, Histoire de la Ligue, liv. III, pag. 354.
  4. Voyez, ci-dessus, le Mémoire du député de la Ligue à la cour de Rome.
  5. Thuanus, lib. XCVIII, pag. 346.
  6. Idem, lib. XCV, pag. 302.