Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T08.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
HÉRACLÉOTES.

sement qu’il ne faut point se fier à des ouï-dire, et que les faits changent beaucoup en passant d’un écrivain à un autre. Quelle différence entre les termes de le Grain, et ceux d’Howel !

HÉRACLÉOTES (Denys), ainsi nommé parce qu’il était d’Héraclée [a], ville du Pont, étudia sous divers maîtres, et enfin il s’attacha au fondateur des stoïques [b]. Il apprit de lui à dire que la douleur n’est point un mal ; qu’il n’y a que le vice qui mérite ce nom-là, comme il n’y a que la vertu qui mérite le nom de bien ; et que toutes les autres choses sont indifférentes. Il persévéra dans cette doctrine pendant qu’il se porta bien ; mais ayant eu à souffrir de vives douleurs, il abjura sa créance (A), et renonça à la secte des stoïques, et, qui pis est, il embrassa celle des cyrénaïques, qui faisait consister le souverain bien dans la volupté. Il entrait sans honte, et sous les yeux du public, dans les lieux de prostitution, et voulait bien que les plaisirs où il se plongeait fussent sus de tout le monde [c]. Il y a même des gens qui disent qu’il fut débauché dès sa plus tendre jeunesse (B), et que s’étant souvenu en passant auprès d’un bordel, qu’il en était sorti le jour précédent sans avoir payé ce qui était dû aux filles de joie, il mit la main à sa poche, et paya régulièrement ses dettes en présence de tout le monde. On lui fit une objection embarrassante (C), sur ce qu’il admettait avec tous les dogmatiques, qu’il y a une règle pour discerner la vérité et la fausseté. Il composa divers ouvrages de philosophie, et quelques poëmes aussi [d]. Il fit donner dans le panneau Héraclide, par l’un de ses poëmes (D). Il parvint jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, après quoi ne voulant plus vivre, il se donna la mort en ne mangeant rien [e]. Ses désirs lascifs l’accompagnèrent jusques à l’âge où la nature ne les pouvait point satisfaire (E). M. Moréri s’est trompé assez lourdement (F).

  1. Diog. Laërt., lib. VII, num. 166.
  2. Idem, ibidem.
  3. Idem, num. 167.
  4. Idem, ibidem.
  5. Idem, ibidem.

(A) Ayant eu à souffrir de vives douleurs, il abjura sa créance. ] Ce changement lui acquit le titre de μεταθέμενος [1], que nous pourrions traduire par celui de transfuge ou de déserteur. Les uns disent qu’un mal d’yeux le fit changer d’opinion ; les autres attribuent cela aux douleurs de la gravelle. Cicéron rapporte l’une et l’autre de ces traditions [2]. Nobis Heracleotes ille Dionysius flagitiosè descivisse videtur à stoïcis propter oculorun dolorem. Quis verò hoc didicisset à Zenone, non dolere quùm doleret ? Illud audierat, nec tamen didicerat, malum illud non esse, quia turpe non esset, et esset ferendum viro. Hic si peripateticus fuisset, permansisset, credo, in sententiâ, quoniam dolorem dicunt malum esse, de asperitate autem ejus fortiter ferendâ præcipiunt eadem quæ stoïci [3]. J’ai rapporté plus de paroles qu’il ne m’en fallait pour prouver ce que j’avais avancé, et néanmoins je ne pense pas que ma peine soit inutile ; car en

  1. Cela signifie proprement immutatus, et non pas transpositor, comme l’a prétendu le traducteur d’Athénée, liv. X, pag. 437. Voyez Vossius, de Hist. græc., pag. 466. Casaubon., in Athenæum, pag. 733, avait déjà marqué cette faute.
  2. Conférez la citation (3) avec la citation (4).
  3. Cicero, lib. V, de Finib., cap. XXXI. Laërce, liv. VII, num. 166, ne parle que de la douleur des yeux.