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LIPSE.

rapportés dans le livre intitulé, Selectæ christiani orbis Deliciæ. Voilà ce que Garasse prend pour tombeau et épitaphe : tellement que quiconque fait peindre son perroquet, son chien, son chat, sa femme, etc., avec quelque inscription ou quelque vers, lui dresse une épitaphe, un mausolée… Quant à l’épitaphe du seul Sapphirus, qui se trouve dans le livre susdit, Selectæ Deliciæ, etc., c’est une pièce supposée, que même le compilateur F. Suertius n’a pas osé mettre auprès des trois inscriptions qui se trouvent sous le titre Lovanensia, et que sans doute quelqu’un a moulé facilement sur l’inscription de Lipsius de son chien Sapphirus, pour exercer son esprit, connue il est facile à voir par la simple lecture. Le censeur ajoute que la prétendue profanation que Garasse trouve là est une chimère ; il s’étend assez là-dessus, et fait voir l’impertinence de la raison qu’on avait fondée sur le unus est interitus, etc. M. Desmarets[1], qui a cru que ce critique de Garasse était un anonyme docteur de Sorbonne, s’est trompé : il eût dû lui donner le nom de Charles Ogier[* 1], et lui ôter le titre de Sorbonista.

(K) Il se vit accusé … d’avoir été plagiaire, et ne voulut point demeurer d’accord qu’on l’en accusât justement. ] Muret et Petrus Faber furent ses principaux accusateurs. Les pièces de ce procès ont été diligemment recueillies par M. Thomasius, dans son traité de Plagio litterario ; et par M. Crénius, dans la VIIe. partie de ses Animadversiones Philologicæ et Historicæ.

(L) La maladie qu’il gagna dans un repas. ] Voici les paroles de Nicius Érythréus[2] : Sæpiùs in vitâ manifestum vitæ discrimen adiit ; ter in puerili ætate … deindè lethali morbo penè sublatus est Dolœ, quæ Sequanorum est academia, ubi quùm luculentâ oratione Victorem Giselinum, inter medicos allectum, laudâsset, ac statim deindè, opiparo convivio exceptus esset, in quo, ut mos est illarum regionum, convivæ invitare se plusculùm solent, et in sese longiùs merum invergere, repentè, insolito horrore correptus, cum febri domum rediit. Lipse, ayant fait une harangue dans la promotion de ce médecin, fut sans doute regardé comme l’un des principaux héros du repas ; on le fit boire d’autant, et on le pensa tuer. S’il eût été Italien ou Espagnol, cette aventure ne serait pas surprenante ; car il est vrai qu’à de telles gens un repas académique, un repas de promotion dans des universités septentrionales, est une occasion aussi périlleuse qu’une bataille rangée à un colonel, à moins qu’ils n’obtiennent dispense de faire raison à chaque santé. Mais Lipse était un Flamand : n’importe ; il succomba ; il fut vaincu dans une joute bachique par des Francs-Comtois : il lui en coûta presque la vie. Les règles les plus générales souffrent exception.

(M) C’est une chose étrange qu’un style latin aussi mauvais que le sien ait pu créer une secte dans la république des lettres. ] « Lipsius est cause qu’on ne fait guère état de Cicéron : lorsqu’on en faisait état, il y avait de plus grands hommes en éloquence que maintenant[3]. » C’est Scaliger qui parle ainsi, preuve évidente que la secte des Lipsiens s’était fort accrue. Mais c’est ici qu’on doit s’écrier :

O imitatores, servum pecus, ut mihi sæpè
Bilem, sæpè jocum vestri movêre tumultus [4]


Il faut bien aimer les mauvais modèles, quand on est capable de préférer le style de Lipse à celui de Paul Manuce, ou à celui de Muret, un style qui va par sauts et par bonds, hérissé de pointes et d’ellipses, à un style bien lié et coulant, et qui développe toute la pensée. Lipse est d’autant moins excusable, qu’il était passé du bon goût au méchant goût. Il écrivait bien dans sa jeunesse, cela paraît dans le livre qu’il dédia au cardinal de Granvelle[5], et dans l’oraison funèbre du duc de Saxe. Il se gâta en vieillissant. Sa troisième centurie d’Épîtres, disait Scaliger[6], ne vaut rien du tout : il a désappris à parler ; je ne sais quel latin c’est. Un

  1. (*) Il fallait dire François Ogier, frère de Charles. Rem. crit.
  1. Samuel Maresius, in Salute Reformat. adsertâ, pag. 56.
  2. Pinacoth. III, pag. 6.
  3. Scaligerana, voce Lipsius, pag. m. 143.
  4. Horat., epist. XIX, vs. 19. lib. I.
  5. Ses Variæ Lectiones, l’an 1566.
  6. In Scaligeranis, voce Lipsius, pag. 143.