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LUCRÈCE.

Domitius Énobarbe, et de Caïus Cassius Louginus, l’an de Rome 657, et que d’autres la mettent à l’olympiade 172, c’est-à-dire sous le consulat de L. Licinius Crassus, et de Q. Mucius Scévola, l’an 658 : d’où il paraît, ajoute-t-il, que ce poëte était plus jeune de douze ou onze ans que Cicéron, qui naquit sous le consulat de Q. Servilius Cépion, et de C. Attilius Séranus. 1o. Eusèbe met la naissance de Lucrèce à l’an 2 de la 171e. olympiade. Or, Domitius Énobarbe et Cassius Longinus furent consuls l’année d’auparavant. 2o. Leur consulat et celui de Licinius Crassus, et de Mutius Scévola n’appartiennent pas à l’olympiade 172, mais à l’olympiade précédente. Il est un peu étrange que Lambin nous distingue si froidement l’olympiade 171 et l’olympiade 172, par les années 657 et 658 de Rome. 3o. Puisque le consulat sous lequel Cicéron naquit tombe à l’an de Rome 647, il fallait dire que Lucrèce était plus jeune que Cicéron de dix ou douze ans, et non pas de douze ou de onze. Gifanius, et son copiste Daniel Paréus[1], en mettant la naissance de Lucrèce à l’an 658, ont tort de le faire naître douze ans avant Cicéron.

J’ai compté jusqu’à huit fautes dans huit lignes du père Briet[2]. Il veut que Lucrèce soit né l’an 2 de la 175e. olympiade, et que cette année-là soit la 543e. de Rome. Il veut que Lucrèce soit mort l’an de Rome 584, à l’âge de trente-six ans, ou plutôt à l’âge de quarante, sous le consulat de Pompée et de Crassus ; et que cette année-là suit celle où Virgile prit la robe virile. Enfin, il impute à saint Jérôme d’avoir dit que Lucrèce s’ôta la vie à l’âge de quarante ans. Comptons bien ses fautes. En 1er. lieu, il devait mettre la naissance de Lucrèce sous la 171e. olympiade, et non pas sous la 175e. En 2e. lieu, l’année olympique qu’il marque répond à l’an de Rome 674, et non pas à l’an 543. En 3e. lieu, il est absurde de dire qu’un homme né l’an 543, et mort l’an 584, est mort à l’âge de trente-six ans : cela, dis-je, est absurde, encore qu’on le corrige par ces paroles, ou plutôt à l’âge de quarante ; car outre qu’il fallait dire quarante-un et non pas quarante, on ne doit jamais se servir d’une telle disjonctive, à trente-six, ou à quarante, lorsqu’il est constant que la première partie de cette proposition est fausse. Le père Briet est dans le cas : il pose sans balancer la naissance de Lucrèce à l’an de Rome 543, et sa mort à l’an 584 ; il n’a donc point dû avancer deux opinions sur la durée de la vie. En 4e. lieu, comme Crassus et Pompée ont été consuls deux fois ensemble, c’est une faute que de marquer simplement qu’une telle chose est arrivée sous le consulat de ces deux hommes. Il faut spécifier sous quel consulat. En 5e. lieu, Crassus et Pompée furent consuls la première fois, l’an de Rome 683, et non pas l’an 584. En 6e. lieu, ou il ne fallait point parler de Virgile, ou il en fallait parler comme Donat, qui marque que ce poëte prit la robe virile le même jour que Lucrèce décéda. La plus grande force de la singularité consiste dans la rencontre du jour ; Le père Briet l’énerve en se contentant d’observer que Virgile prit la robe virile l’année de la mort de Lucrèce. En 7e. lieu, ce fut sous le deuxième consulat de Crassus et de Pompée, que Virgile prit cette robe, l’an de Rome 698[3] : il ne fallait donc pas mettre à l’an de Rome 584 la mort de Lucrèce. En 8e. lieu, saint Jérôme a dit clairement que Lucrèce se tua à l’âge de quarante-quatre ans. Propriâ se manu interfecit anno ætalis quadragesimo quarto[4]. Joignez à ces huit fautes celle que le père Briet a faite un peu après, en disant qu’Ovide a donné à Lucrèce l’épithète de divin :

Carmina divini tunc sunt peritura Lucretî,
Exitio terras cùm dabit una dies.


Il y a sublimis, et non divini, dans Ovide[5]. Gassendi s’est étrangement abusé sur le passage de saint

  1. Le Scoliaste Dauphin avant mis à la tête de son Lucrèce la Vie de ce poëte, faite par Daniel Paréus, devait savoir qu’à quelques retranchemens près, c’est mot à mot celle que Gifanius a composée.
  2. De Poëtis Latinis, pag. 9.
  3. Decimo septima anno ætatis virilem togam cepit illis consulibus iterùm quibus natus erat. Evenitque ut eo ipso die Lucretius poëta discederet. Donatus in Vitâ Virgilii.
  4. In Chronic. Eusebii.
  5. Ovid. Amor. lib. I, eleg. XV. vs. 23.