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LASCARIS.

rétabli et remis en usage, les grandes lettres, ou pour mieux dire majuscules et capitales de l’alphabet grec, esquelles il fit imprimer, l’an 1494, des sentences morales, et autres vers qu’il dédia à Pierre de Médicis, avec une fort longue épître liminaire, où il l’informe de son dessein, et de la peine qu’il avait eue à rechercher la vraie figure de ces grandes lettres parmi les plus vieilles médailles et monumens de l’antiquité [a].

  1. Naudé, Addit. à l’Hist. de Louis XI, pag. 303, 304.

(A) Laurent de Médicis... le députa au sultan. ] Deux fois, si nous en croyons Paul Jove, qui ajoute que ce sultan aimait la philosophie, et avait une estime particulière pour Laurent de Médicis. Il est nécessaire de rapporter les paroles de cet historien ; car il faut que je les compare avec celles de M. Varillas. C’est une matière de critique. Is ( Laurentius Medices) tum absolvendæ bibliothecæ studio tenebatur. Ob id Lascarem, ad conquirenda volumina Byzantium cum legatione ad Baiazetem bis misit : nec defuit honesta petenti, nusquam barbarus imperator, quippe qui erat totius philosophiæ studiosus, Averroisque sectator eximius, et de Laurentio privatim tanquam de illustri cultore virtutis, optimè sentiret, quùm paulò antè Bandinum percussorem fratris, fugâ in Asiam elapsum in catenis ad supplicium tradidisset [1] ; singulari quidem religionis, atque justitiæ exemplo ; quod ille immane scelus in templo ausus, meritâ pœnâ plectendus censeretur. Itaque Lascares, tuto abdita Græciæ perscrutatus, quùm patriæ opes victoribus cessissent, nobiliora divitis antiquæ dignitatis volumina collegit, ut in Italiâ servarentur [2]. M. Varillas a trouvé trop sèche cette narration de Paul Jove ; c’est pourquoi il l’a embellie de quantité de circonstances, comme si au lieu de traduire fidèlement le travail d’autrui, on l’eût chargé de le travestir en roman. Voici son narré [3] : Laurent de Médicis reçut Lascaris à bras ouverts, et lui commit le soin de sa bibliothéque. Un jour qu’ils discouraient des moyens de l’embellir, il vint en pensée à Lascaris, que Bajazet, deuxième empereur des Turcs avait de l’inclination pour la philosophie, et que s’étant fait expliquer les commentaires d’Averroës sur Aristote, il ne serait pas fâché que l’on sauvât les péripatéticiens du naufrage des belles-lettres. Laurent de Médicis promit de lui fournir les choses nécessaires pour un voyage de Constantinople, s’il y voulait aller à ce dessein. Lascaris le prit au mot, et s’embarqua sans autre lettre de créance que celle que Laurent de Médicis lui donna pour ses facteurs. Il ne laissa pas néanmoins de trouver accès à la porte du grand-seigneur, ni de se faire présenter à sa hautesse, qui le reçut encore mieux qu’il ne s’était imaginé. Ils eurent une assez longue conversation, et Bajazet lui témoigna toute l’estime dont un infidèle était capable pour la vertu de Laurent de Médicis, et lui permit (à sa considération) d’acheter tous les manuscrits qui se trouveraient à vendre dans son empire. Sa hautesse lui donna des gens pour le conduire, et l’escorter aux lieux où il savait qu’il y avait eu des bibliothéques, et pour empêcher que ceux qui les avaient pillées, ne vendissent les livres plus qu’ils ne valaient. Ainsi Lascaris eut la commodité d’aller par toute la Grèce, et d’assembler ces rares volumes qui subsistent encore dans la bibliothèque du roi. Il n’en apporta toutefois que la moitié dans le premier voyage qu’il fit, parce que la joie de faire voir à son patron les auteurs qu’il avait recouvrés quoiqu’on les tînt pour perdus, le fit retourner à Florence au bout de deux ans qu’il en était parti. Mais Lau-

  1. Paul Jove se trompe ici ; car ce ne fut pas Bajazet II, mais son père Mahomet II, qui fit arrêter Bandini, et qui l’envoya à Laurent de Médicis, l’an 1478. Voyez M. Guillet, Histoire de Mahomet II, tom. II, pag. 320 et suiv., et pag. 439. Notez que M. de Wicquefort a bien erré là-dessus ; voyez son Traité de l’Ambassadeur, tom. I, pag. m. 269.
  2. Jovius, Elog., cap. XXXI, pag. m. 74.
  3. Varillas, Anecdotes de Florence, p. 183.