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MALDONAT.

de la calomnie tant sur son ignorance, que sur sa malignité. Or en ceste question il y a deux propositions contradictoires : l’une est, il y a un Dieu ; l’autre est, il n’y a point de Dieu. Pasquier appelle l’une et l’autre de ces propositions impie également et avec transcendance, c’est-à-dire demesurément. Et en cela nous fait premierement voir qu’il est demesurément ignorant, non seulement en la religion ; mais aussi au premier principe de la nature. Secondement que luy-mesme est impie [1]. L’avocat des jésuites gâte ici sa cause ; car il prend de travers la pensée de son adversaire, et le réfute sur une impiété chimérique ; car le sens de Pasquier n’est point qu’il y ait autant d’impiété dans cette proposition il y a un Dieu, que dans celle-ci, il n’y a point de Dieu : c’est néanmoins ce qu’on lui impute, et à la réfutation de quoi l’on emploie toute une page que je ne rapporte point. Son sens est qu’il y a autant d’impiété à prouver par des raisons naturelles l’existence de Dieu, qu’à la nier par des raisons naturelles. Voici de quelle manière on le bat en ruine, en l’attaquant de ce côté-là, qui était le seul par où il le fallait attaquer. Il n’est pas moins ignorant et impie en la religion chrestienne, qu’en la nature, quand il pense estre impieté de prouver un Dieu par raisons naturelles. Je le monstre aussi clairement. Il n’y a chretien si peu instruit en nostre foi, qui ne sçache que Dieu se monstre et se prouve luy-mesmes par ses œuvres. Il n’y a aucun bon philosophe encore que payen, qui n’aye naturellement cogneu et confessé un Dieu par les œuvres de Dieu. L’Escriture dict appertement que les choses créées tesmoignent qu’il y a un Dieu. Saint Paul le monstre à dessein, escrivant aux Romains disant, les choses invisibles viennent en évidence par les choses faites visibles. Et parlant des philosophes il dit, lesquels ayans cogneu Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu [2].

Si Pasquier s’était servi de sa sagesse, il se serait tenu toute sa vie dans un morne et profond silence à l’égard de son reproche contre Maldonat ; mais, quelque faible qu’il sentît, et quelque incapable qu’il se trouvât de se donner là-dessus les airs triomphans qu’il se donne dans le reste de son catéchisme, il ne voulut point se taire : il prétendit [3] que les jésuites qui soutenaient Maldonat étaient tombés dans des hérésies condamnées par toute l’église gallicane, et par le pape Innocent II, savoir, dans les hérésies de Pierre Abélard, qui avait dit qu’il ne faut croire que les choses que l’on peut prouver par des raisons naturelles. C’était rendre sa dernière condition plus mauvaise que la première ; et ce sera toujours le sort de ces opiniâtres qui, étant tombés dans de lourdes fautes, ne veulent ni les reconnaître de bonne foi, ni se taire, mais soutenir qu’ils ont raison. Il leur arrivera toujours de se défendre d’une fausseté par une autre [4]. Ce fut ainsi qu’en usa Pasquier, et il s’en trouva très-mal. Lisez ce qui lui fut répliqué. « On l’avoit noté d’avoir dict, calomniant les leçons de Jean Maldonat, théologien de ceste compagnie, que c’estoit aussi grande impieté de prouver par raisons naturelles qu’il y a un Dieu, comme de prouver qu’il n’y en a point ; blasphème et ignorance grossiere : donnant contre Dieu qui se prouve et manifeste luy-mesme par toute la nature ; contre ses saincts ; contre la saincte Écriture ; et contre tout l’univers, qui tesmoignent ensemblement par les creatures qu’il y a un Dieu, tout puissant, tout bon, et tout sage. Comment s’est-il purgé de ce crime ? En disant que les jesuites enseignent aujourd’huy par la plume de René de la Fon, que la deïté se doit prouver par raisons naturelles, et que celuy qui s’arreste seulement à la foi est impie. Double imposture pour justification : car René de la Fon dict seulement, comme disoit Maldonat et tous les theologiens ; qu’on peut

  1. Réponse de René de la Fon au Plaidoyer de Simon Marion, chap. XXXVII, pag. 173, édition de 1599.
  2. René de la Fon, pag. 175.
  3. Pasquier, Catéchisme des Jésuites, liv. II, chap. VII, pag. m. 239, 240.
  4. Voyez l’article de Luther, tom. IX, pag. 565, remarque (R), citation (88).