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MANICHÉENS.

de subtil et savant philosophe[1]. Il étudia principalement les livres d’un certain Arabe, nomme Scythien, et il en tira la plupart de ses méchans dogmes. Térébinthus, héritier des biens et de l’argent, et des impiétés de Scythien, avait attiré sur lui une grande persécution, pour avoir voulu dogmatiser dans la Perse, et s’était réfugié chez cette veuve. Il périt d’une manière bien tragique : ses livres et son argent demeurèrent à la veuve ; et ce fut par ce moyen que Manès trouva chez elle les écrits de Scythien. Comme, selon sa coutume, il fut monté de nuit au plus haut de ce logis[2] pour invoquer sur la plateforme à découvert les démons de l’air, ce que les manichéens ont fait depuis dans leurs exécrables cérémonies, il fut frappé soudainement d’un coup du ciel, qui le précipita du haut en bas sur le pavé, où il eut la tête écrasée et le cou rompu[3]. Saint-Épiphane raconte que Scythien avait eu le même sort, c’est-à-dire, qu’il était tombé du haut du logis[4]. D’autres disent que le diable transporta Térébinthe dans un désert, et l’y étrangla, et que Scythien fut écrasé sous les ruines de sa maison, à Jérusalem. Scythianus autem domùs suæ ruinâ oppressus miserè periit. Discipulum autem et successorem doctrinæ suæ habuit quendam nomine Buddam, cognomine Terebinthum, qui et ipse à Satanâ in solitudinem abreptus strangulatus est[5]. Ils disent aussi que Manès épousa la veuve qui l’avait affranchi [6] ; et par-là ils trouvent de quoi continuer le parallèle qu’ils forment entre lui et Mahomet. Ils ajoutent qu’on le fit écorcher tout vif, à cause des enchantemens ou des sortiléges, dont il s’était servi pour faire mourir le fils de son roi. Postquàm suis incantationibus regis Persarum ilium necâsset, vivus ab eo excoriatus est[7]. Mais il y a bien plus d’apparence qu’il fit tout ce qu’il lui fut possible pour le guérir. Ce qu’il y a de plus sûr est qu’il se fit fort de lui redonner la santé, et qu’il ne tint point sa promesse. « Le bruit s’étant répandu partout de ce grand pouvoir qu’il disait avoir de faire des miracles, il fut appelé par le roi Saporès pour guérir son fils fort malade. D’abord ce hardi trompeur chassa tous les médecins qui avaient entrepris la guérison de ce petit prince, et promit au roi de le remettre bientôt en pleine santé, sans autre remède que celui de ses oraisons[8]. Mais l’enfant étant mort entre ses bras, le roi, furieusement irrité contre lui, le fit mettre en prison, d’où s’étant échappé, il s’enfuit en Mésopotamie. Il y fut deux fois convaincu en deux disputes solennelles par le saint et savant évêque Archélaüs[* 1], qui eut bien de la peine à le sauver de la fureur du peuple, qui voulait le mettre en pièces. Cela néanmoins ne lui servit guère ; car peu de temps après il fut repris par des cavaliers qu’on avait envoyés partout après lui, et mené à Saporès qui le fit écorcher tout vif, puis fit jeter son corps aux chiens pour en être dévoré, et pendre sa peau remplie de paille devant une des portes de la ville[9]. »

(B) Les explications..... qu’elle en donnait, et les conséquences pratiques qu’elle en tirait. ] Selon les manichéens [10], les deux principes s’étaient battus, et dans ce conflit il s’était fait un mélange du bien et du mal. Depuis ce temps-là le bon principe travaillait à dégager ce qui lui appartenait : il répandait sa vertu dans les élémens pour y faire ce triage. Les élus y travaillaient aussi ; car tout ce qu’il y avait d’impur dans les viandes qu’ils mangeaient, se séparait des particules du bon principe, et alors ces particules dégagées et purifiées étaient transportées au royaume de Dieu leur première pa-

  1. (*) Hieron., de Script. eccles. in Archelao.
  1. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 11.
  2. C’est-à-dire du logis de la veuve.
  3. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 11.
  4. Epiph. adv. Hæres., pag. 620.
  5. Lamb. Danæus, Notis in librum Augustini de Hæresibus, folio 118 verso.
  6. Idem, ibid., fol. 120.
  7. Idem, ibidem.
  8. Saint Épiphane, adv. Hæreses, pag. 621, dit pourtant qu’il employa des remèdes. Τινὰ ἐίδη ϕαρμακευτικῆς προενέγκας. Cùm medicamenta quædam adhibuisset.
  9. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 13, 14.
  10. Augustin., de Hæresib., cap. XLVI.