toutes choses qui sont venues en estre par combat et contrarieté de passions, et que le soleil n’outrepasseroit pas les bornes qui lui sont prefixes, autrement que les Furies ministres et aides de la justice le rencontreroient. Et Empedocles chante, que le principe du bien s’appelle Amour et Amitié, et souvent Armonie : et la cause du mal,
Combat sanglant et noise pestilente.
Quant aux Pythagoriciens, ils designent
et specifient cela par plusieurs
noms, en appellant le bon principe,
un, fini, reposant, droit, non pair,
quarré, dextre, lumineux : et le mauvais,
deux, infini, mouvant, courbe,
pair, plus long que large, inegal,
gauche, tenebreux. Aristote
appelle l’un forme, l’autre privation :
et Platon, comme umbrageant et
couvrant son dire, appelle en plusieurs
passages l’un de ces principes contraires,
le mesme, et l’autre l’autre : mais
ses livres de ses loix qu’il escrivit estant
desja vieil, il ne les appelle plus
de noms ambigus ou couverts, ni par
notes significatives, ains en propres
termes il dit que ce monde ne se manie
point par une ame seule, ains par
plusieurs à l’aventure, à tout le
moins, non pas moins que deux, desquelles
l’une est bienfaisante, l’autre
contraire à celle-là, et produisant
des effets contraires : et en laisse encore
entre deux une troisième cause,
qui n’est point sans ame, ni sans raison,
ni immobile de soi-mesme, comme
aucuns estiment, ains adjacente
et adherante à toutes ces deux autres.
Plutarque, dans un autre livre[1],
dit formellement, que la nature de
Dieu ne lui permet que de bien faire,
et non pas de se fâcher contre quelqu’un,
ou de lui nuire. Il faut donc
que cet auteur ait été persuadé que
les afflictions qui tourmentent si souvent
les hommes ont une autre cause
que Dieu, et par conséquent qu’il y
avait deux principes, l’un qui ne fait
que du bien, l’autre qui ne fait que
du mal. J’ajoute que les philosophes
perses, bien plus anciens que ceux
d’Égypte, ont enseigné constamment
cette doctrine[2].
Plutarque lui donne trop d’étendue, puisqu’il prétend qu’elle paraissait dans les actes publics de la religion, parmi les barbares et parmi les Grecs[3] : car il est bien vrai que les païens ont reconnu et honoré des dieux malfaisans ; mais ils enseignaient aussi, et par leurs livres et par leurs pratiques, que le même Dieu en nombre qui répandait quelquefois ses biens sur un peuple, l’affligeait quelque temps après pour se venger de quelque offense. Pour peu qu’on lise les auteurs grecs, on connaît cela manifestement. Disons la même chose de Rome. Lisez Tite Live, Cicéron, et les autres écrivains latins, vous comprendrez clairement que le même Jupiter, à qui l’on offrait des sacrifices pour une victoire gagnée, était honoré en d’autres rencontres afin qu’il cessât d’affliger le peuple romain : et quoiqu’il y eût un Véjovis beaucoup plus porté à faire du mal, qu’à faire du bien, on ne laissait pas de croire que le Dijovis, ou le Diespiter, c’est-à-dire le bon Jupiter, lançait la foudre. Aulu-Gelle s’exprime de telle sorte, qu’il distingue nettement Jupiter d’avec Véjovis[4]. Cùm Jovem igitur et Dijovem à juvando nominâssent : eum quoque contrà deum, qui non juvandi potestatem sed vim nocendi haberet (nam deos quosdam ut prodessent celebrabant, quosdam ne obessent placabant) Vejovem appellaverunt demtâ atque detractâ juvandi facultate....... Simulachrum dei Vejovis, quod est in æde, de quâ supra dixi, sagittas tenet, quæ sunt videlicet paratæ ad nocendum : quapropter eum deum plerique Apollinem esse dixerunt..... Virgilium quoque aiunt, multæ antiquitatis hominem sinè ostentationis odio peritum, numina læva in Georgicis quoque deprecari, significantem quandam vim esse hujuscemodi deorum in lædendo magis quàm in juvando potentem. Versus Virgilii hi sunt :
In tenui labor, at tenuis non gloria, si quem
- ↑ Non posse suaviter vivi juxtà Epicurum, pag. 1102.
- ↑ Diog Laërtius, in Proœmio, num. 8 ; Agathias, Histor., lib. II.
- ↑ Remarquez qu’on ne censure Plutarque, qu’en ce qu’il suppose que, par des actes publics de religion, les Grecs témoignaient qu’il y avait des dieux, le bon Jupiter, par exemple, qui ne pouvaient faire que du bien.
- ↑ Aul. Gellius, lib. V, cap. XII.