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MARCA.

verses choses dans les autres. L’imprimeur, qui était de la religion, n’ignora pas que l’on faisait ces cartons afin d’ôter certaines choses qui favorisaient les protestans. Que fit-il ? il conserva tous les endroits qui devaient céder la place aux cartons, et par ce moyen il livra à M. Claude un exemplaire tout tel qu’il l’avait imprimé, avant que les commissaires de la faculté de théologie y fissent des changemens [1]. Sur cet exemplaire, ou sur un semblable [2], on a fait une édition de l’ouvrage dans les pays étrangers, comme M. Baluze l’avait prévu [3]. On a joint à cette édition les lettres que M. Baluze et M. Faget écrivirent l’un contre l’autre. Car il faut savoir que M. Baluze ne crut point se devoir taire, quand il vit que la probité et l’orthodoxie de feu M. de Marca allaient être mises en compromis. Il écrivit coup sur coup deux lettres au président de Marca [4]. Voici un passage de la première [5] :« Vous savez, Monsieur, que ses ennemis ont méchamment publié que dans les affaires qui passaient par ses mains, il ne regardait pas tant la vérité et la justice que son intérêt et son ambition, ayant toujours tâché de s’agrandir de plus en plus dans l’église, et que ces considérations ont été cause qu’il a souvent trahi la vérité pour flatter la cour de Rome. Nous faisions notre devoir pour dissiper ces discours, et pour empêcher qu’ils ne fissent aucune impression dans l’esprit des personnes raisonnables. Mais M. Faget d’un coup de plume a renversé, s’il en est cru, tout ce que les véritables serviteurs de feu monseigneur l’archevêque avaient pu établir pendant plusieurs années. » Voyons un autre passage ; il est pris de la seconde lettre [6]. Je me sens obligé de vous donner avis que le livre que M. Faget a fait imprimer, fait un grand bruit en cette ville, à cause de quelques expressions qu’on y a coulées, qui semblent favoriser l’erreur des calvinistes et des luthériens touchant le sacrement de l’Eucharistie, qui est un des points les plus essentiels de notre religion, et aujourd’hui le plus controversé. S’il est vrai, ce que j’ai de la peine à croire, que feu monseigneur ait composé les traités que M. Faget a fait imprimer sous son nom, dont il se vante dans la préface et dans la Vie d’avoir les originaux écrits de la main de l’auteur, nous ne saurions empêcher que feu monseigneur ne passe dans l’esprit de beaucoup de gens pour hérétique au sujet de l’Eucharistie ; et par conséquent sa réputation en recevra un très-grand dommage......... Vous ne sauriez croire combien cette édition donne de sujet de parler à toute sorte de gens ; les huguenots en témoignant beaucoup de joie, comme d’une chose qui est venue très à propos pour fortifier leur opinion, et les ennemis de feu monseigneur prenant de là occasion de déchirer sa mémoire et de flétrir sa réputation. L’abbé Faget, traité avec le dernier mépris dans ces deux lettres, en fut outré, et en publia deux autres toutes pleines de sa colère. Je ne m’y arrête pas ; je toucherai seulement un point qui se rapporte à un fait dont j’ai parlé dans le corps de cet article. M. Faget [7] nie que M. de Marca ait confié à M. Baluze ses manuscrits. Il est bon de voir ce que fit M. Baluze, quand il se vit démenti sur ce chapitre. Je vous marquerai, écrivit-il à M. l’évêque de Tulle, que lui ayant fait faire des reproches par un bon prêtre de Rouergue de sa connaissance, appelé Guibert, de ce qu’au préjudice de la vérité qui lui est connue, il a avancé dans cette Vie, que j’avais supposé lorsque j’avais publié que feu monseigneur l’archevêque m’avait donné ses papiers en mourant, et m’avait

  1. Lettre de M. Baluze à M. l’évêque de Tulle, imprimée à la fin du livre publié par M. Faget, édit. de 1669.
  2. M. Baluze, dans sa IIe. lettre au président de Marca, avoue que M. Faget avait déjà fait des présens de son livre, et que le libraire en avait déjà débité quelques-uns, avant qu’on songeât à supprimer l’édition.
  3. Pourvu qu’il en reste un exemplaire entre les mains d’un particulier, on en imprimera dix mille sur celui-là, toutes et quantes fois qu’on voudra le rendre public. Ce que je m’assure qu’on ne manquera pas de faire au plus tôt en Hollande et à Genève. Baluze, IIe. lettre au président de Marca, à la fin du livre de l’abbé Faget, édition de 1669.
  4. Fils de l’archevêque de Paris.
  5. Elle est datée de Paris, le 22 avril 1668.
  6. Datée de Paris, le 27 de mai 1668.
  7. La Vitâ Petri de Marca, pag. 118.