Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
MARCIONITES.

surtout il faut observer que les marcionites étaient une branche des gnostiques, et que l’erreur générale de ces gnostiques était que Dieu n’était point altéré du sang des chrétiens, et que Jésus-Christ n’attendait point le salut de notre mort. C’est pourquoi ils tournaient en ridicule les martyrs, et se moquaient de la prétendue sottise qu’ils avaient de s’aller exposer pour leur religion. Et même Tertullien nous dit que les gnostiques, les valentiniens, et les autres hérétiques dans le temps de la persécution, se mêlaient des plus avant entre les persécuteurs, afin de n’être point persécutés.[* 1] Quùm igitur fides æstuat, et ecclesia exuritur de figurâ rubi, tunc gnostici erumpunt, tunc valentiniani proserpunt, tunc omnes martyriorum refragatores ebulliunt calentes, et ipsi offendere, figere, occidere. Et sur ces paroles, omnes martyriorum refragatores, Rigault fait cette observation : Il désigne les gnostiques et les autres hérétiques, qui travaillaient à empêcher que personne ne souffrît le martyr, et qui le combattaient. Voilà les hérétiques qui, selon le savant père Maimbourg, couraient au supplice avec une ardeur incroyable de mourir pour leur secte. Mais afin que ce déclamateur ne nous échappe pas, nous le prions, s’il veut quitter le siècle des marcionites, de nous indiquer quels hérétiques sont morts en foule pour soutenir l’hérésie, et quand cela est arrivé. Car pour nous, qui ne savons rien de l’histoire que ce que les livres nous enseignent, nous ne trouvons point ces siècles, nous ne rencontrons pas cette foule d’hérétiques qui meurent pour l’erreur. Nous savons seulement que, dans le quatrième siècle, quelques évêques orthodoxes ont poursuivi jusqu’à la mort certains hérétiques espagnols. C’est un grand malheur pour un homme quand il veut sortir de sa sphère. Le sieur Maimbourg s’est occupé à copier depuis quelques années des histoires modernes ; mais s’il était sage, il ne dirait jamais rien de l’histoire ancienne. Car il n’en sçaurait rien dire qui ne fasse voir son ignorance. Et il faut avouer que de semblables endroits nous font un grand plaisir, car ils nous apprennent que ce grand auteur qui s’est mêlé d’écrire des histoires anciennes, entre autres celles de l’arianisme, n’est qu’un pauvre copiste qui ne sait rien dans l’antiquité.

III. Nous allons voir ce qu’on répliqua pour M. Maimbourg[1]. « Quelque passion qu’on puisse avoir de découvrir des fautes dans un auteur qu’on critique, il me semble qu’on ne doit jamais lui faire un procès sur une chose qui est susceptible d’un bon sens aussi bien que d’un mauvais. Celle que M. Maimbourg a avancée sur le sujet des marcionites est de cette nature. Elle peut avoir un mauvais sens, en disant, avec l’apologiste, que les marcionites n’avaient garde de courir en foule au martyre : puisque les premiers chrétiens n’avaient ni pouvoir ni envie de les faire mourir pour leur secte ; tant parce qu’ils étaient sous la croix et sans tribunaux de justice, qu’à cause qu’ils avaient de l’aversion pour les magistratures. Mais, d’un autre côté, les marcionites pouvaient courir au supplice afin de mourir pour leur secte, si, pour montrer qu’elle était bonne, ils souffraient le martyre pour la cause de Jésus-Christ, aussi bien que ceux des autres chrétiens qui n’étaient pas de leur sentiment. Ce sens n’est pas moins naturel que l’autre : et il l’est même davantage ; et je ne doute pas que M. Maimbourg ne l’ait eu en vue quand il a parlé des marcionites. Ce qui me le persuade, c’est qu’il s’est contenté de dire que les marcionites couraient au supplice ; et qu’il n’a pas dit que c’étaient les chrétiens qui les y envoyaient. C’est l’apologiste qui ajoute cette circonstance de son chef ; mais on peut lui dire que son commentaire n’est pas conforme à la pensée de l’auteur qu’il interprète. Si cela est comme je le crois, M. Maimbourg n’aura pas fait voir une prodigieuse ignorance, supposé qu’on puisse prouver qu’il y a eu de prétendus martyrs parmi les marcionites. L’apologiste soutient que, bien loin que ces hérétiques s’exposassent au martyre, ils étaient du nombre de ceux qui le

  1. (*) Scorpiac., cap. 1.
  1. Ferrand, Réponse à l’Apologie pour la Réformation, pag. 213 et suiv.