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MARESTS.

nient point que si Dieu voulait, il ne pût faire qu’un homme agissant toujours librement n’évitât toujours le péché dans les tentations les plus périlleuses.

(H) Je ferai peu d’observations contre Moréri. ] 1°. Sa remarque que Sinope, ville de Paphlagonie, avait été autrefois de Pont, est très-mauvaise, puisque Sinope a été tout à la fois et une ville de Paphlagonie, et une ville du Pont. 2°. Il n’est pas vrai que Marcion n’ait jamais été reçu à la communion de l’église de Rome[1]. 3°. Ni qu’après avoir long-temps suivi les erreurs de Cerdon, il en ait inventé de nouvelles en 134. Nous avons vu ci-dessus qu’il vint à Rome sous Antonio Pius, qui ne commença de régner qu’en 138. Baronius, se fondant sur quelques passages de Tertullien, croit que Marcion commença à dogmatiser dans Rome l’an 146[2] ; et néanmoins il y a d’autres passages de ce père qui témoignent que Marcion n’arriva à Rome que sous le pape Anicet[3] : ce qui suppose qu’il n’y serait arrivé que vingt ans après la naissance de sa secte. Tertullien avait raison quand il disait[4] qu’il s’était peu informé du temps où cet hérétique commença de dogmatiser. 4°. Puisque Cerdon alla à Rome sous le pape Hygin[5], qui ne fut créé qu’en l’an 153, comment serait-il possible que Marcion eût inventé de nouvelles hérésies l’an 134, après avoir suivi long-temps celles que Cerdon lui avait apprises dans Rome ? 5°. Il est faux que Marcion se nommât Jésus-Christ, envoyé pour abolir la loi comme mauvaise. Moréri le calomnie en lui imputant cela. Si l’on dit que ces paroles de Moréri, il se nommait Jésus-Christ, etc., se rapportent, non pas à Marcion, mais à l’un des dieux de cet hérétique, à celui qu’il reconnaissait pour l’auteur de l’Évangile et le rédempteur de l’Univers, on ne disculpera pas Moréri ; il sera coupable, et de s’être mal exprimé, et d’avoir mal rapporté l’opinion de cet hérétique. Marcion admettant deux dieux, l’un bon et l’autre mauvais, disait que l’un avait fait le monde, et que l’autre était le père de Jésus-Christ[6]. La confusion avec laquelle Baronius parle de cela est peut-être ce qui a trompé Moréri. Duos posuit deos (Marcion) sibi contrarios, quorum alter bonus, malus verô esset alter ; alter legis veteris auctor, alter autem novæ… ab illoque malo mundum esse creatum, à bono autem restitutum atque redemptum, huncque fuisse Jesum solventem legem atque prophetas à Deo patre missum[7]. C’est ainsi qu’on lit ce passage dans mon édition de Baronius[8]. Je ne sais si les imprimeurs ont oublié quelques mots, ou s’il faut attribuer à Baronius la contradiction qui se trouve là[* 1], et qui consiste à dire que Jésus-Christ soit le bon principe, et que son père l’ait envoyé dans ce monde.

  1. * Leclerc ne voit aucune contradiction dans le passage de Baronius, passage dans lequel, dit-il, aucun mot n’a été oublié par l’imprimeur.
  1. Voyez la remarque (B).
  2. Baron., ad ann. 146, num. 1.
  3. Il fut créé évêque de Rome, l’an 167, selon Baronius.
  4. Advers. Marcion, lib. I, cap. XIX, apud Baron., ibidem.
  5. Irenæus, lib. I, cap. XXVIII, apud Baron., ibidem, num. 2.
  6. Voyez Danæus, in Notis ad August. de Hæresib., folio 36, citant saint Irénée, lib. 2, c. 1, et lib. 4, c. 57, et d’autres pères.
  7. Baronius, ad ann. 146, num. 9, p. 117.
  8. C’est celle d’Anvers, 1597.

MARESTS (Jean des), Parisien, sieur de Saint-Sorlin, a été un des beaux esprits du XVIIe. siècle ; mais il devint enfin visionnaire et fanatique. Il fut fort aimé du cardinal de Richelieu, et l’on peut dire qu’entre autres charges[a] il eut chez cette éminence un emploi d’esprit (A). Il nous a laissé lui-même une peinture de ses mœurs qui n’est pas fort avantageuse ; car il avoue que pour séduire les femmes qui lui opposaient l’intérêt de leur salut, il ne feignait point de les pousser vers l’athéisme (B). Il fut de l’académie française dès le commencement de sa fonda-

  1. Il était contrôleur général de l’extraordinaire des guerres, et secrétaire général de la marine de Levant. Hist. de l’académie française, pag. 342.