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MARESTS.

vrait pleurer des larmes de sang, pensant au mauvais usage qu’il a fait de l’éloquence auprès des femmes. Car je n’y employais que des mensonges déguisés, des malices subtiles, et des trahisons infimes. Je tâchais à ruiner l’esprit de celles que je feignais d’aimer. Je cherchais des paroles artificieuses pour le troubler, pour l’aveugler et pour le séduire, afin de lui faire croire que le vice était vertu, ou pour le moins chose naturelle et indifférente. Je trahissais Dieu, même en interprétant malicieusement ses lois, et en faisant valoir les faux et damnables raisonnemens des voluptueux et des impies comme toi, et mon éloquence faisait toute sorte d’efforts pour éteindre la vertu dans une âme. On lui prouva [1] qu’il s’est désigné par des caractères individuels et personnels, de sorte que ce qu’il fait dire par son Eusèbe est sa propre histoire.

(C) Il a cru qu’il aurait été... plus long-temps à achever son Clovis, si la Providence n’eût eu dessein de se servir de sa plume pour des ouvrages de dévotion. ] C’est encore lui qui a révélé ce petit mystère ; car il a commencé les Délices de l’Esprit [2] par une espèce de prodige, qu’il prétend lui être arrivé ; qui est, dit-il [3], que Dieu l’a si sensiblement assisté, pour « lui faire finir le grand ouvrage de son Clovis, pour le rappeler plus promptement à des choses bien plus utiles, plus délicates et plus relevées, qu’il n’ose dire en combien de temps il a achevé les neuf livres de ce poëme qui restaient à faire, et repoli les autres. » Voici la réflexion que MM. de Port-Royal ont faite sur ce passage : Ainsi, selon le sieur des Marests, c’est l’esprit de Dieu qui lui a fait composer ces neuf livres, qui lui a fait repolir les autres, et qui l’a porté à publier cet ouvrage. C’est l’esprit de vérité, qui l’a assisté pour lui faire débiter et répandre parmi les chrétiens tant de fables impertinentes et ridicules. C’est l’esprit de Dieu qui l’a porté à les tenter par tant d’images dangereuses, et par la représentation de tant de passions criminelles. C’est l’esprit de Dieu, qui lui a fait faire un roman qu’il est différent des autres, que parce qu’il est plus extravagant [4]. Au reste, M. l’abbé de Marolles nous apprend une particularité, d’où l’on peut conclure que notre Jean des Marests faisait un grand cas de son Clovis. Il me donna ses Délices de l’Esprit, c’est l’abbé qui parle [5], et quelques autres ouvrages en prose et en vers, du temps que je n’étais pas brouillé avec lui, comme je le fus depuis, à cause qu’il prit contre mon sens ce que j’avais écrit de son poëme de Clovis, que je n’avais pas mis au-dessus de l’Énéide, bien que je l’eusse estimé, et que je l’eusse en effet trouvé digne de lui.

(D) Il fit des romans où il s’éloigna de ces idées de vertu qu’on représentait alors dans cette sorte d’écrits. ] C’est de quoi on le raille agréablement dans le Parnasse réformé ; car on y a mis cette plainte dans la bouche d’Ariane, son héroïne « On ne trouve chez moi que des lieux infâmes : chaque livre en fournit un pour le moins, et les héros du roman sont si bien accoutumés à fréquenter ces endroits, qu’on les prendrait pour des soldats aux gardes, ou des mousquetaires. Me rendre visite, et aller au (vous m’entendez bien) n’est plus qu’une même chose : on confond maintenant l’un avec l’autre ; et je suis devenue le répertoire de tous les bons lieux. Je ne m’étonne point après cela si l’on me fait paraître nue : il y aurait eu de l’irrégularité d’en avoir usé d’autre sorte ; et puisqu’Astrée, qui n’avait pas l’avantage du lieu comme moi, se montre à Céladon en cette posture, il était d’une nécessité indispensable que j’en fisse autant [6]. » Ce n’est donc point pour le roman d’Ariane que des Marests peut avoir part à la dernière partie de la censure que je m’en vais rapporter, et qu’on lui adresse principalement. Un faiseur de romans et un poëte de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles, qui se doit re-

  1. MM. de Port-Royal, dans leurs Visionnaires, lettre VIII, pag. 456, édition de Cologne, 1683, in-8°.
  2. Les Visionnaires, lettre I, pag. 256.
  3. Préface des Délices de l’Esprit.
  4. Visionnaires, lettre I, pag. 256.
  5. Michel de Marolles, Dénombrement des auteurs qui lui ont donné de leurs livres.
  6. Parnasse réformé, pag. 148, 149.