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MARESTS.

aussi les ministres [1]. L’auteur dont j’emprunte ces paroles prouve cela par plusieurs exemples ; et puis il continue de cette façon [2] : « Il fallait donc aussi que les imaginations du sieur des Marests, étant du même genre que celle de ces autres visionnaires, se terminassent à quelque chose d’extérieur, et qu’il voulut, comme les autres, jouir dès ce monde du fruit de ses prophéties. Il est vrai qu’il semble n’en être pas venu là tout d’un coup ; car au commencement il a fait tout ce qu’il a pu pour s’en éloigner, en spiritualisant toutes choses, et en réduisant les bêtes les plus terribles de l’Apocalypse en chimères, ou en quintessences de théologie mystique. Mais enfin, il s’est lassé de ces spiritualités si déliées, et la pente naturelle de l’imagination fanatique l’a porté à former, comme les autres, un dessein vaste pour ce monde-ci, à l’exécution duquel il a cru qu’il était choisi de Dieu. L’idée n’en est pas tout-à-fait noble et relevée. Mais, afin que vous ne croyiez pas que je lui impose, je ne vous la représenterai que par ses propres paroles. Ce dessein donc est de dresser une armée pour combattre et exterminer partout les impiétés et les hérésies. Le nombre de ceux qui la composeront doit être, selon la prophétie de saint Jean, de cent quarante-quatre mille, qui auront la marque du Dieu vivant sur le front, c’est-à-dire, qui feront voir à découvert par leur vie que Dieu est vivant dans leurs cœurs. Et, comme toute armée a besoin d’un général, il y a pourvu en offrant cette charge au roi, afin que leur zèle et la valeur de sa personne sacrée qui sera le général de cette belle armée, comme fils aîné de l’église et principal roi de tous les chrétiens, anime tous les soldats. Pour les moindres charges, il déclare à sa majesté qu’elles sont destinées pour les chevaliers de l’ordre. Votre royale compagnie, dit-il, de chevaliers du Saint-Esprit doit marcher à leur tête, si elle est aussi noble et aussi vaillante comme elle se persuade de l’être. Et pour les piquer d’honneur, il ajoute : qu’elle le sera beaucoup, si elle est aussi prête que le reste de cette sainte armée à tout faire et à tout souffrir. Pour les moyens que l’on doit employer dans cette guerre, et dont cette nombreuse armée se doit servir, il ne s’en ouvre pas encore, mas il réserve à les déclarer en temps et lieu, comme les ayant appris du Saint-Esprit. Il dit seulement en passant, qu’elle doit exterminer toutes les impiétés, non par la force des armes temporelles [3], mais par la force des armes spirituelles, selon les moyens et les remèdes tout célestes que Dieu a donnés, et qui seront déclarés en particulier. Mais, afin que l’on ne crût pas que ce ne fût qu’une visions ; et de peur que l’attente d’un événement éloigné ne fît pas assez d’impression sur l’esprit du roi, il déclare que la plus grande partie de cette armée est déjà levée. Déjà, sire, dit-il, Dieu a prévenu vos desseins, et vous a composé dès il y a long-temps une armée de personnes qui lui sont fidèles, et qui sont dévouées à lui comme victimes à sa colère justement irritée pour tant d’abominations, pour le prier sans cesse, et pour souffrir toutes choses, afin qu’il lui plaise convertir les faux chrétiens, et exterminer par votre autorité tant de sectes et de vices détestables qui règnent dans la France. Cette armée n’est composée que d’âmes vaillantes et à toute épreuve, qui combattent sans cesse Satan et ses suppôts. Et dans le vœu d’union, il assure qu’elle est déjà de plusieurs mille âmes. Néanmoins, comme elle n’a pas encore atteint le nombre prophétique de cent quarante-quatre mille, le sieur des Marests a commission du ciel de faire publier partout que

  1. Visionnaires, lettre II, pag. 279.
  2. Là même, pag. 280.
  3. Notez que la plupart des visionnaires commencent ainsi ; mais ils trouvent ensuite que les armes temporelles doivent aussi concourir : toutes les fureurs de la guerre entrent dans leur plan, et cela sous l’idée d’actions pieuses

    Prob superi, quantùm mortalia pectora cæcæ
    Noctis habent ! ipso sceleris molimine Tereus
    Creditur esse Pius laudemque à crimine sumit.
    Ovid., Metam., lib. VI vs. 472.