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MAROT.

aimoit singulierement, laquelle me dit [1] :..... Vous n’estiez aussi ignorante, madame, de telle meschanceté contre vous machinée, ains en aviez une playe fort sanglante au cœur, et cherchiez par larmes et prieres le Seigneur, par ce qu’en aviez affaire : et en ce temps-là vous le recognoissiez, honnorant la saincte Bible, qui estoit en vos coffres, ou sur vostre table, en laquelle regardiez et lisiez quelquefois : Et vos femmes et serviteurs avoyent ceste heureuse commodité d’y lire, et n’y avoit que la nourrice qui ne vous aimoit gueres, non plus qu’elle faisoit Dieu, qui en enrageoit..... Dieu ne vous respondit pas incontinent, mais vous laissa plusieurs ans languissante chercher, requerir, demander, qu’il s’esveillast à vostre aide..... L’Eternel vostre protecteur [2]..... va preparer et ouvrir le moyen par lequel il vouloit que toute la benediction du roy et de vous print naissance, et sortît en perfection et évidence. Car ce pere plein de misericorde meit au cœur du feu roy François d’avoir fort aggreables les trente psalmes de David, avec l’oraison dominicale, la salutation angelique, et le symbole des apostres, que feu Clement Marot avoit translatez et traduicts, et dediez à sa grandeur et majesté : laquelle commanda audict Marot presenter le tout à l’empereur Charles le quint, qui receut benignement ladicte translation, la prisa, et par paroles, et par present de deux cens doublons qu’il donna audict Marot, lui donnant aussi courage d’achever de traduire le reste desdicts psalmes, et le priant de luy envoyer le plus tost qu’il pourroit Confitemini Domino, quoniam bonus, d’autant qu’il l’aimoit. Quoy voyans et entendans les musisciens de ces deux princes, voire tous ceux de nostre France, meirent à qui mieux mieux lesdicts Psalmes en musique, et chacun les chantoit. Mais si personne les aima et embrassa estroictement, et ordinairement les chantoit, et faisoit chanter, c’estoit le feu roy Henri de manière que les bons en benissoyent Dieu, et ses mignons et sa meretrice les aimoyent ou faignoyent ordinairement les aimer à tant qu’ils disoyent, monsieur, cestuy-ci ne sera-il pas mien ? vous me donnerez cestuy-là s’il vous plaist : et ce bon prince alors estoit à son gré empesché à leur en donner à sa fantaisie. Toutesfois il retint pour luy, dont il vous pleut bien et doit souvenir, Madame, cestuy,

» Bienheureux est quiconques
» S’est à Dieu volontiers, etc. [3].


» Feit luy-mesme le chant à ce psalme, lequel chant estoit fort bon et plaisant, et bien propre aux paroles. Le chantoit et faisoit chanter si souvent, qu’il monstroit évidemment qu’il estoit poinct et stimulé d’estre benict, ainsi que David le descrit audict psalme, et de vous voir la verité de la figure de la vigne. Cela fut au sortir sa maladie à Angoulesme. La roine ma maistresse (qui pour lors estoit avec le roi Francois son frere) le priant d’embrasser en pitié et clemence les citadins de la Rochelle, en lieu de les massacrer, m’envoya vers vous pour sçavoir de sa maladie : laquelle trouvay ja tant diminuée, qu’il se mettoit à chanter lesdicts psalmes, avec lucs, violes, espinettes, fleustes, les voix de ses chantres parmi, et y prenoit grande delectation, me commandoit approcher ; parce qu’il cognoissoit que j’aymois la musique, et jouois un peu du luc et de la guiterne : et me fit donner le chant et les parties que je portay à la roine ma maistresse, avec la reconvalescence de vostre bonne santé. Je n’oublieray aussi le vostre que demandiez estre souvent chanté : c’estoit,

» Vers l’Éternel des oppressez le pere
» Je m’en iray, luy monstrant l’impropere
» Que l’on me faict, luy feray ma priere
» A haulte voix, qu’il ne jette en arriere
» Mes piteux cris, car en lui seul j’espere [4].


» Quand madicte roine de Navarre vit ces deux psalmes, et entendit

  1. Recueil des choses mémorables, etc., depuis la mort du roi Henri II, tom. I, pag. 502.
  2. Là même, pag. 503 et suiv.
  3. C’est le psaume CXXVIII.
  4. C’est le commencem. du psaume CXLI.