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MÉLANCHTHON.

temens de Mélanchthon [1]. » Notez que la mère de Mélanchthon mourut l’an 1529 : pouvait-elle donc faire des demandes l’an 1560 ? Voyez ci-dessus dans la remarque (E) [2] ce que j’ai dit contre Florimond de Rémond. Je ne m’amuse point à prouver qu’il ne se loua jamais à un brasseur : c’est une fable dont on peut connaître la fausseté par l’inspection seule du cours de la vie de ce savant personnage. Disons en passant que ceux qui content qu’en 1524 Luther retira Mélanchthon de la boutique d’un boulanger [3] où il s’était mis apprentif pour commencer à gagner sa vie [4] à la sueur de son visage, se trompent grossièrement.

Pour ne pas séparer les fautes de Varillas, j’ai renvoyé à cet endroit-ci la narration qu’il a donnée du dessein de François Ier., par rapport à Mélanchthon. Il suppose que la sœur [5] et la maîtresse [6] de ce prince intriguèrent extrêmement pour introduire la nouvelle religion dans le royaume [7] ; et que, n’ayant pu faire réussir la tentative fondée sur une prédication du curé de Saint-Eustache, elles employèrent une autre ruse, qui fut de persuader au roi de gagner les protestans d’Allemagne ; ce qui lui serait très-avantageux pour résister à la trop grande puissance de Charles Quint : on lui représenta donc que rien ne serait plus propre à les gagner, que de faire paraître un grand désir de conférer avec Mélanchthon [8]. La première démarche de ce prince fut l’ordre que reçut Languei, qui avait connu ce théologien en Saxe, de le sonder s’il était d’humeur à changer sa chaire de théologie dans l’université de Wittemberg, qui ne lui rapportait que deux cents écus par an, en une chaire de professeur royal dans l’université de Paris, à douze cents écus d’appointement [9]. La seconde démarche fut de charger Langei de faire des offices particuliers à la cour de Saxe, pour obtenir la permission que Mélanchthon demandait, et d’une lettre pour ce fameux théologien, signée de la propre main du roi...... L’électeur de Saxe n’eut pas plus tôt appris que le roi très-chrétien lui demandait Mélanchthon, qu’il s’imagina qu’il ne tenait plus qu’à cela que toute la France ne devint luthérienne..... Il ne délibéra pas un instant sur la demande qu’on lui faisait, et il ne se contenta pas de céder un homme dont il croyait avoir encore beaucoup affaire. Il l’exhorta de plus à se mettre promptement en chemin. Mais Luther qui ne pouvait se passer de Mélanchthon, le retint long-temps sous prétexte de concerter, ou pour mieux dire de polir avec lui son dernier ouvrage contre les anabaptistes [10]. Mélanchthon fit une réponse civile à François Ier., et la conclut par une excuse de ce qu’il n’était pas parti au moment que l’électeur son maître le lui avait permis [11]. Le cardinal de Tournon eut le courage de s’opposer à l’intrigue de la reine de Navarre et de la duchesse d’Étampes [12]. Il fit un discours que François Ier. goûta ; mais la vertu que ce prince affectait davantage était de garder sa parole, et il présupposait que l’on trouverait d’autant plus étrange qu’il la violait à l’égard de Mélanchthon, que ce théologien ne s’était point ingéré de lui-même de venir à Paris, et qu’il n’y avait consenti qu’après avoir été recherché par les voies honorables. Il n’y eut donc rien pour ce coup de résolu, et l’indifférence de sa majesté aurait apparemment été plus longue si les mêmes luthériens, qui lui avaient adroitement fait inspirer le désir de voir Mélanchthon, ne le lui eussent ôté par une action insolente qui les acheva de ruiner dans son esprit [13]. Ils avaient déjà fait afficher des placards à la porte de son cabinet, qui l’avaient mis dans une grande colère ; mais il fut offensé beaucoup davantage par les billets imprimés qu’ils firent couler dans la nef dont on le servait à table

  1. Varillas, Histoire de l’Hérésie, tom. V, liv. XXIV, pag. 2279, édition de Hollande.
  2. Citation (29).
  3. Florimond de Rémond, Hist. de l’Hérésie, liv. I, chap. LI, pag. 95.
  4. Là même, liv. II, chap. II, pag. 126.
  5. Marguerite, reine de Navarre.
  6. La duchesse d’Étampes.
  7. Varillas, Histoire de l’Hérésie, tom. II, liv. X, pag. 312.
  8. Là même, pag. 317, 319.
  9. Là même, pag. 321.
  10. Là même, pag. 322.
  11. Là même, pag. 323.
  12. Là même, pag. 324.
  13. Là même, pag. 325.