Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/403

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
MÉLANCHTHON.

Peut-on assez admirer la négligence de M. Varillas ? Il a donné le précis de la lettre que François Ier. écrivit à Mélanchthon : il a pu voir qu’elle est datée du 28 de juin 1535. Il a dit [1] que la procession expiatoire des placards se fit le 29 de janvier 1535 [2] ; et néanmoins il assure que le sujet de la procession fut cause que le théologien allemand reçut un contre-ordre.

S’il se plaignait que son Histoire de l’Hérésie eût été prise pour un roman, il ne serait guère mieux fondé que la Calprenède, qui a trouvé fort mauvais que sa Cassandre et sa Cléopâtre n’aient pas été considérées comme des histoires. Je dirai même pour l’honneur de ces ouvrages, dit-il [3], qu’on ne leur a pas rendu justice dans le nom qu’on leur a donné, quoique peut-être ils aient été assez agréablement reçus dans le monde, et qu’au lieu de les appeler des romans, comme les Amadis et autres semblables, dans lesquels il n’y a ni vérité, ni vraisemblance, ni charte, ni chronologie, on les pourrait regarder comme des histoires embellies de quelques inventions, et qui par ces ornemens ne perdent peut-être rien de leur beauté. En effet je peux dire avec raison, que dans la Cassandre, ni dans la Cléopâtre, non-seulement il n’y a rien contre la vérité, quoiqu’il y ait des choses au delà de la vérité ; mais qu’il n’y a aucun endroit dans lequel on me puisse convaincre de mensonge, et que par toutes les circonstances de l’histoire, je ne puisse soutenir pour véritable quand il me plaira. Aussi s’est-il trouvé plusieurs personnes intelligentes qui en ont fait le même jugement, et qui m’ont regardé comme un homme mieux instruit des affaires de la cour d’Auguste, et de celle d’Alexandre, que ceux qui ont écrit simplement leur histoire. C’est une insigne gasconnade, et il y a bien peu de choses plus romanesques que celle-là dans les ouvrages de cet auteur. Cependant j’ose répéter que M. Varillas ne ferait point de semblables plaintes avec beaucoup plus de justice. Au reste, il y a sujet d’être surpris que tant d’écrivains français fassent le sophisme à non causâ pro causâ, en parlant de cette affaire de Mélanchthon. Ils prétendent que les affiches des protestans empêchèrent son voyage ; et néanmoins il est sûr que, par accident, elles furent cause qu’on voulut le faire venir. Quelque blâmables qu’ils soient, ils le sont moins que le jésuite Sandæus [4], qui a osé révoquer en doute ce que M. de Thou rapporte que François Ier. écrivit à Mélanchthon, etc. Consultez M. Crénius, qui réfute solidement l’audace de cet écrivain, et son injuste mépris pour Mélanchthon [5].

(O) Il prit quelquefois un faux nom à la tête de ses livres. ] Il se nomma Didymus Faventinus dans la réponse qu’il fit, en 1520, à une harangue que Thomas Rhadinus, dominicain et professeur en théologie à Rome, avait publiée contre Luther. Vous trouverez un abrégé de cette réponse dans M. de Seckendorf [6] ; mais, sous prétexte que l’auteur déclame très-vivement contre les erreurs des scolastiques, n’allez pas croire que j’ai eu tort de soutenir qu’il ne désapprouvait point la philosophie d’Aristote. Pour bien connaître les sentimens d’un écrivain, il ne faut pas qu’on s’arrête à ce qu’il dit dans une invective opposée à une invective : il faut les prendre dans ses écrits didactiques, ou dans ses lettres, ou en général dans des ouvrages qui ne sentent pas la déclamation. Chacun sait combien on s’échauffe, et combien l’on outre les choses dans les harangues. Après tout, de ce qu’on censure très-fortement les inutilités dangereuses dont les scolastiques ont chargé la philosophie, il ne s’ensuit pas que l’on condamne celle d’Aristote. M. Placcius ayant observé [7] qu’Hoornbeek donne à Mélanchthon la version grecque de la Confession d’Augsbourg, qui a

  1. Varillas, Histoire de l’Hérésie, tom. II, liv. X, pag. 326.
  2. Notez que c’est en commençant l’année au mois de janvier.
  3. La Calprenede, préface de Pharamond.
  4. Maximil. Sandæus, in Pædiâ Academici Christani, commentat. VII, pag. 250, edit. Colon., 1638, in-8°., apud Crenium, ubi infrà.
  5. Crenius, Animadv. Philolog. et Histor., part. II, pag. 24 et seq.
  6. Seckend., Hist. Lutheran., lib. I, pag. 108 et seq.
  7. Placcius, de Pseudonymis, pag. 185, 186.