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MÉZIRIAC.

constance qui doit être rectifiée, et voici un mémoire que j’ai reçu sur ce sujet [1]. « Outre les trois livres que M. Bachet de Méziriac a composés touchant les nombres, et qu’il a mis au commencement de ses Commentaires sur Diophante, il a fait des Élémens d’arithmétique, divisés en XIII livres, qui n’ont point été imprimés. On sollicita après sa mort M. de Méziriac, son fils, de les donner à imprimer ; mais il voulut vendre si cher le manuscrit, qu’il ne trouva personne qui le voulût acheter. Enfin il le vendit à M. d’Alibert, trésorier de France à Montauban, qui lui en donna quinze cents livres. M. d’Alibert s’était proposé de le faire imprimer à ses dépens : mais ayant été surpris de la mort avant que d’avoir pu exécuter son dessein, il donna, en mourant, à un de ses amis, ce manuscrit qui est tout entier de la main de M. de Méziriac le père. Cet ami le donna depuis à M. Case, et M. Case à M. Picard, de l’académie royale des sciences. En l’année 1679, M. Picard le donna à M. l’abbé Galloys, qui, pour accomplir les bonnes intentions de M. d’Albert, l’a offert à plusieurs libraires pour le faire imprimer. Mais comme ces élémens sont d’une science abstraite, et qu’ils sont en latin, il n’a trouvé jusqu’ici aucun libraire qui en ait voulu entreprendre l’impression. Il y a donc quelque chose à corriger dans la page 291 de la Ire. partie de la vie de M. Descartes, car celui qui a acheté ce manuscrit n’était point de la religion réformée ; celui à qui il a été depuis donné ne l’a point emporté hors du royaume ; et le manuscrit est encore à Paris. » Il paraît par une lettre de M. Sarrau [2], que M. Morus avait entrepris de recueillir les compositions manuscrites de M. de Méziriac, et qu’on souhaitait qu’il s’aquittât de sa promesse. M. Sarrau, sans doute, lui avait inspiré ce beau dessein, lorsqu’il l’avait prié de lui acheter tous les ouvrages de ce savant homme [3] ; car il en parla avec des éloges distingués. Ce fut dans une lettre qu’il écrivit le 14 de mars 1644. Il croyait qu’il y avait environ dix ans que Méziriac était mort. Il ignorait donc la vraie date.

Au reste, il ne faut pas être surpris de ce qu’on n’a pu trouver aucun imprimeur pour le Commentaire de Méziriac sur Apollodore. Le goût de cette espèce d’érudition est entièrement éteint, et il y a beaucoup d’apparence que si Méziriac vivait aujourd’hui, on ne lui ferait point l’honneur de l’aller chercher en Bresse pour lui donner une place dans l’académie Française. Ce qui lui fit avoir autrefois cet avantage, serait présentement une raison de ne pas songer à lui. La politesse de son style, la beauté de ses vers français, ne furent point cause qu’on le crut digne d’être l’un des académiciens ; car il faut avouer ingénument que sa prose ni ses vers en notre langue n’avaient rien d’exquis, et qu’à cet égard il était fort inférieur à presque tous ses confrères : la seule réputation de son savoir, et les preuves qu’il avait données d’une vaste érudition, le firent choisir. Les temps sont changés : on ne tient plus compte d’un auteur qui sait parfaitement la mythologie, les poëtes grecs, leurs scoliastes, et qui se sert de cela pour éclaircir, ou pour corriger les passages difficiles, un point de chronologie une question de géographie, ou de grammaire, une variation de récits, etc. On ne se contente pas de préférer à la lecture des ouvrages d’un tel auteur, celle d’un écrit où il n’y a rien de semblable, on traite aussi de pédanterie cette sorte d’érudition [4], et c’est le véritable moyen de rebuter tous les jeunes gens qui auraient des dons pour réussir dans l’étude des humanités. Il n’y a point d’injure plus offensante que d’être traité de pédant : c’est pourquoi on ne veut point prendre la peine d’acquérir beaucoup de littérature ; car on craindrait de s’exposer à cette offense, si l’on voulait faire paraître que l’on a bien lu les anciens auteurs. Et où sont

  1. Dressé par M. l’abbé Gallois, et envoyé par M. Simon de Valhébert.
  2. C’est la CLXXXVe, à la page 190 de l’édition d’Utrecht.
  3. Voyez sa LXXe. lettre, pag. 68 : il le nomme toujours Mézériacus au lieu de Méziriacus.
  4. Voyez la Bruyère, au chapitre des Jugemens. pag. m. 498 et suiv.