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MILTON.

et anxiâ longâque meditatione languorem etiam videtur contraxisse delicatum illud et infirmum corpusculum suum [1]. M. Morus ne contesta là-dessus quoi que ce soit à cet adversaire : il protesta seulement [2] qu’il n’avait point prétendu lui reprocher d’être aveugle, puisqu’il ne l’avait appris que par la réponse de Milton, et que s’il avait dit quelque chose qui semblât se rapporter à l’aveuglement, il l’avait entendue de celui de l’âme. Par là il se reconnaissait l’auteur de l’épître dédicatoire du Clamor regii Sanguinis : or comme c’est là qu’il avait dit que rien ne saurait être plus hâve ni plus décharnée que Milton, je crois qu’on l’eût bien embarrassé, si on l’eût contraint d’accorder son épître dédicatoire, avec l’endroit de sa réponse où il avoue qu’il avait cru que Milton était bel homme, et surtout après l’avoir vu si mignonnement peint à la tête de ses poésies. An deformitatem tibi vitio verterem, qui bellum [* 1]etiam credidi maximè, postquàm tuis prefixam poematibus [3] comptulam iconem illam vidi ? M. de Saumaise semble se glorifier d’avoir été cause que Milton eût perdu son embonpoint et ses yeux, à répondre à l’apologie du roi Charles : et bien loin de lui reprocher aucune laideur naturelle, il le plaint malignement de n’avoir plus cette beauté qui l’avait rendu si aimable pendant son séjour d’Italie. Indè etiam fortassè cerebrum tibi nimis inquies in oculis destillaverat, eosque afflixerat. Malo isto magnam partem tuæ pulchritudinis deperiisse, pro eo ac debeo doleo. Nam in oculis maximè viget ac valet formæ decus. Quid Itali nunc dicerent site viderent cum istâ fœdâ lippitudine ? Non haberent ampliùs quod in te laudarent. Non ergò miror si Salmasium istum odisti propter quem tantùm tibi laboris et oneris impositum est, undè ægritudo tibi corporis et mentis hæc accidit : et prætereà detrimentum tantum pristini decoris passus es [4]. Iste jam lippulus vel cæculus potiùs, olim bellulus pusio [5]. Il s’exprime plus nettement en un autre endroit [6]. Je ne sais point ce que Milton a opposé à cette dernière médisance, lorsqu’il a eu occasion de parler à ses amis, touchant la réplique posthume de M. de Saumaise : mais j’ai ouï dire que, quand on lui eut appris que son ennemi se vantait de lui avoir fait perdre la vue : et moi, répondit-il, je lui ai fait perdre la vie. Ce conte est fort vraisemblable, puisqu’on en trouve le fond dans les livres de ces deux écrivains. On va le voir. Sunt, dit Milton [7], qui nos etiam necis ejus (Salmasii) reos faciunt, illosque nostros nimis acriter strictos aculeos quos dùm repugnando altiùs sibi infixit, dùm quod præ manibus habebat opus vidit spissius procedere, tempus responsionis abiisse, operis gratiam periisse, recordatione amissæ famæ, existimationis, principum denique favoris, ob rem regiam malè defensam ergà se imminuti, triennali tandem mœstitiâ et animi magis ægritudine quàm morbo confectum obiisse.

(B) Il fut envoyé à l’académie de Cambridge..... d’où il retourna chez son père. ] L’auteur du Clamor regii Sanguinis avance sur un ouï-dire [8], que Milton, chassé de l’académie de Cambridge pour ses mauvaises actions, abandonna le pays, et se retira en Italie. Milton nie tout cela, et fait un autre récit qui lui est extrêmement avantageux. Or, comme ni M. Morus, en répondant au livre où est contenu ce récit, ni M. de Saumaise dans sa Réplique, où il y a bien des contes diffamatoires contre Milton, n’ont rien dit de la sortie ignominieuse de Cambridge qui lui avait été objectée, on a lieu de croire que c’est une fable ; car il faut qu’il y ait pour ces sortes de procès, quelques principes qu’il ne soit pas permis de nier, et qui fassent une véritable prescription : et quels principes y a-t-il plus dignes de ce rang-là, que de voir qu’un homme, publique-

  1. * Joly pense que bellum signifie joli, et non beau.
  1. Là même, pag. 15 et 16.
  2. Fid. publ., pag. 31.
  3. Par la réponse que Milton fit à ces paroles, pag. 84, il paraît que ces poëmes sont ceux qu’il publia l’an 1645, et qu’il n’était pas content de son graveur.
  4. Salmas., Respons. ad Milt., pag. 15 et 16.
  5. Idem, ibidem, pag. 19.
  6. Tu quem olim Itali pro fœminâ habuerunt, cuiquam audeas, quòd parùm vir sit, objicere ? Ibidem, pag. 23,
  7. Milton, Defens. II, pag. 11.
  8. Aiunt hominem Cantabrigiensi academiâ ob flagitia pulsum, dedecus et patriam fugisse, et in Italiam commigrâsse. Pag. 8.