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MORIN.

de se procurer l’honneur d’écrire le dernier. M. Descartes, toujours fort éloigné d’ambitionner une gloire si fausse, acheva de reconnaître à cette marque le caractère de l’esprit de M. Morin. Il ne voulut pas lui refuser la satisfaction qu’il souhaitait de lui, puisqu’elle lui coûtait si peu. C’est [* 1] pourquoi il manda au père Mersenne, vers le milieu du mois de novembre, qu’il ne ferait plus de réponse à M. Morin, puisqu’il ne le désirait pas. » Il est sûr que M. Descartes ne méprisa point les objections de cet homme. Il les jugea dignes de considération dès qu’il les eut reçues, et préférables à celles de M. Petit, pour leur solidité et pour la nature de leur difficulté. Il en [* 2] écrivit plus d’une fois au père Mersenne, pour lui faire témoigner de sa part à M. Morin que non-seulement il avait reçu son écrit en très-bonne part, mais qu’il lui avait encore obligation de ses objections, comme étant très-propres à lui faire rechercher la vérité de plus près : et [* 3] qu’il ne manquerait pas d’y répondre le plus ponctuellement, le plus civilement et le plus tôt qu’il lui serait possible [1]. Mais ne finissons pas cette remarque sans rapporter une chose qui puisse édifier les lecteurs, autant que les plaintes orgueilleuses du professeur royal en mathématiques les ont dû scandaliser. Nous avons vu que Morin avait fini ses objections par.... des plaintes sur le malheur où il se voyait par les pratiques de ses envieux, en souhaitant que la fortune lui fût plus favorable qu’elle n’était ordinairement au commun des savans. M. Descartes, à qui ce langage ne convenait guère, eut plus de peine à répondre à cette conclusion qu’à tout le reste. « [* 4] Je ne prétends nullement, lui dit-il à ce sujet, mériter les honnêtetés dont vous usez à mon égard sur la fin de votre écrit, et je n’aurais néanmoins pas de grâce à les réfuter. C’est pourquoi je puis seulement dire que je plains avec vous l’erreur de la fortune en ce qu’elle ne reconnaît pas assez votre mérite. Mais, pour mon particulier, grâces à Dieu, elle ne m’a encore jamais fait ni bien ni mal, et je ne sais pas même pour l’avenir si je dois plutôt désirer ses faveurs que les craindre. Car comme il ne me paraît pas honnête de rien emprunter de personne qu’on ne puisse rendre avec usure, il me semble que ce serait une grande charge pour moi que de me sentir redevable au public [2]. » Voilà quel doit être le langage d’un vrai philosophe ; M. Descartes aurait mérité ce titre par la seule qualité dont il parle là. Mais, pour Morin, il déshonorait la philosophie par ses murmures contre l’injustice de son siècle. Il faisait paraître une âme vénale et avide de pensions et de récompenses : faux savant, faux philosophe.

(O) Il a fait un récit ingénu de plusieurs choses qui lui étaient désavantageuses. ] Il dit [3] que sa mère, malade à la mort, le déshérita et lui refusa sa bénédiction. On la fit un peu revenir de cette haine : les prêtres et les parens lui représentèrent que son testament serait cassé, et qu’elle courrait un grand risque d’être damnée : ainsi elle consentit à lui donner sa bénédiction, et à lui laisser un legs, le plus petit qu’elle put. Il prétend que la cause de cette haine fait qu’il avait dit à son frère aîné, leur père et leur mère étant malades, qu’il aimerait mieux la guérison de son père que la guérison de sa mère, s’il fallait que l’un des deux n’en réchappât point. La mère mourut deux jours après dans les dispositions que l’on vient de voir contre son fils. Voilà un fait très-peu honorable et à la mère et à l’enfant ; mais il n’y a rien qui coûte trop à un astrologue, quand il en peut donner des raisons selon ses principes. Morin est dans le cas ; il trouve [4] dans son horoscope, que sa propre mère a dû le haïr. Il y trouve aussi qu’il a dû être emprisonné plusieurs fois ; et il avoue que dans sa jeunesse il s’est vu fort proche de ce malheur à cause de sa

  1. (*) Pag. 416, tom. 2.
  2. (*) Tom. III des Lettres, pag. 390.
  3. (*) Pag. 396, tom. 3 et pag. 360.
  4. (*) Pag. 219, 220, tom. 1.
  1. Baillet, Vie de Descartes, tom. I, p. 355,
  2. Baillet, Vie de Descartes, tom. I, p. 356.
  3. In Astrologiâ gallicâ, lib. XVII, pag. 398.
  4. Ubi suprà.